Un dramatique accident aux urgences
Une jeune fille de 16 ans est admise aux urgences d’un CHU, dans un état agité et agressif après une tentative de suicide par voie médicamenteuse. Le médecin psychiatre, appelé dans le service, prescrit un tranquillisant et un placement dans une "chambre de dégrisement", donnant sur le couloir du service, avec mise en place de contentions.
Quelques minutes après son placement en isolement, la patiente provoque un incendie en essayant de brûler ses liens à l’aide d’un briquet, qu’elle avait conservé dans la poche de son short.
Elle est très sévèrement brûlée au 3e degré et doit secondairement subir une amputation des doigts de la main droite, puis une greffe.
Ses parents assignent l’établissement devant le Tribunal administratif, l’estimant responsable d’une faute dans l’organisation du service.
En première instance comme en appel, ils sont déboutés de toutes leurs demandes et forment donc un pourvoi devant le Conseil d’État.
L’absence de fouille avant mise en contention n’est pas fautive
Le Conseil d’État confirme que les mesures adaptées (administration d’un tranquillisant et placement dans une chambre d’isolement ouverte, donnant sur le couloir du service, avec une contention physique) ont bien été prises.
Sur la question de savoir si l’hôpital a commis une faute en ne fouillant pas la jeune fille avant ce placement, pour vérifier si elle ne portait sur elle aucun objet susceptible de provoquer un dommage, le Conseil d’État confirme la réponse négative apportée par la Cour administrative d’appel.
Dans un service d’urgences, non spécialisé en psychiatrie, il ne peut être reproché au personnel de ne pas avoir déshabillé et fouillé la patiente, qui portait des vêtements légers : sandales, short et T-shirt.
Une solution logique
La solution est logique, pour plusieurs raisons :
- Les fouilles au corps et les palpations ne sont pas autorisées au personnel soignant. Ces mesures sont réservées aux officiers de police judiciaire ou agents de sécurité habilités (sur ce sujet : Site service-public.fr).
- Cela n’empêche pas de mettre en place des mesures de sécurité, mais elles doivent être décidées au cas par cas, en fonction de la situation propre à chaque patient, de ses antécédents, et elles doivent en toutes hypothèses respecter sa dignité. Plutôt qu’une fouille corporelle, il peut être envisagé un inventaire des effets personnels, ce qui suppose évidemment la coopération du patient, qui n’est pas toujours possible dans certaines circonstances. Si le patient est accompagné, on peut envisager, si les circonstances s’y prêtent, que l’accompagnant serve d’intermédiaire.
- Les seules recommandations de bonne pratique concernant la contention mécanique sont celles de la HAS, de février 2017 : Isolement et contention en psychiatrie générale. Mais la HAS a circonscrit ces recommandations aux services de psychiatrie générale, bien qu’invitant à "une réflexion" dans tous les lieux où il peut exister une pratique d’isolement, dont les urgences. Dans ses recommandations, la HAS ne préconise pas de fouille, ni de déshabillage du patient placé sous contention. En revanche, il est indiqué que "les objets dangereux doivent être mis à distance du patient (briquet, ceinture, objets tranchants, etc.), sans toutefois qu’il soit précisé par quels moyens "cette mise à distance" peut être faite si le patient dissimule l’objet".
Une solution qui peut dépendre des circonstances
Le Conseil d’État motive peu sa décision, se bornant à énoncer que l’absence de fouille aux urgences n’est pas fautive. Il ne fait aucune référence aux recommandations de bonne pratique de la HAS.
Il n’évoque pas la surveillance exercée par le personnel, une fois la patiente placée en contention. Il n’insiste pas sur le fait que la patiente avait été admise à la suite d’une tentative de suicide, ce qui pouvait pourtant inciter à davantage de prudence.
En revanche, il semble insister sur le fait qu’elle était vêtue très légèrement, d’un short, d’un T-Shirt et de sandales, laissant entendre que le personnel pouvait légitimement penser qu’elle ne pouvait pas dissimuler d’objet dangereux. La décision aurait-elle été la même si elle avait porté des vêtements moins légers ? En l’absence de motivation plus précise, il n’est pas possible de le savoir.
On peut penser que des décisions très contrastées pourront être rendues dans ce domaine, en fonction des circonstances propres à chaque affaire. Selon la nature de l’objet dissimulé, les antécédents du patient, les modalités de surveillance, la solution rendue pourra être très différente, comme l’illustrent des décisions opposées, dans des circonstances pourtant similaires :
- Homme admis aux urgences en état d’imprégnation alcoolique, placé en salle de dégrisement avec des bracelets de contention aux poignets – Incendie accidentel de son matelas – Absence de faute du personnel.
CAA Douai, 29 avril 2017 n° 11DA017951 - Homme admis aux urgences en état d’ivresse, entravé sur son lit avec une ceinture de contention ventrale et des liens aux quatre membres – Incendie de ses vêtements – Responsabilité de l’établissement retenue pour ne pas avoir correctement surveillé le patient.
CAA Paris, 3 juillet 2017, n°15PA047602
Le principe reste d’assurer la sécurité du patient tout en respectant sa dignité, mais cette conciliation peut, dans certaines circonstances, s’avérer bien difficile…
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