Doxxing : en quoi les professionnels de santé sont-ils concernés ?
Le doxxing (ou doxing) consiste à révéler publiquement des informations personnelles sur quelqu’un, dans le but de l’exposer, ou d’exposer sa famille, à une possible atteinte aux personnes ou aux biens.
Le doxxing n’est pas cantonné à Internet et aux réseaux sociaux, mais c’est là qu’il est le plus souvent pratiqué. Les échanges y sont souvent enflammés et certains internautes peuvent être tentés, pour intimider un contradicteur, de le livrer en pâture en révélant ses données personnelles : par exemple son identité s’il intervient sous pseudonyme, son adresse personnelle ou son lieu de travail.
Comme tout citoyen, le professionnel de santé n’est pas épargné par ce phénomène. Parfois au cœur de vifs échanges sur les réseaux sociaux, notamment lors de la crise sanitaire liée au Covid-19 et des débats sur la vaccination, de nombreux médecins, pharmaciens, biologistes ou paramédicaux en ont été victimes, sous des formes diverses.
- Révélation de l’identité d’un professionnel de santé sous pseudonyme sur les réseaux sociaux : cette révélation peut provoquer des menaces, propos diffamatoires, insultes publiques ou par messagerie privée, atteintes à la réputation professionnelle et personnelle, campagnes de dénigrement, par exemple via de faux avis Google sur les compétences professionnelles du praticien, etc.
- Révélation du lieu de travail : elle peut permettre à des personnes malintentionnées d’interpeller l’employeur du professionnel de santé salarié, dans le but de le faire sanctionner, ou du moins de le placer en porte-à-faux vis-à-vis de sa hiérarchie ou de ses collègues. Dans le pire des cas, cette révélation peut malheureusement déboucher sur une agression physique ou des dégradations de biens.
- Révélation de l’adresse personnelle, qui peut faire planer la menace d’une agression physique sur le professionnel et/ou sur ses proches.
- Révélation de liens de parenté.
- Révélation de photographies ou de détails personnels, etc.
Pourquoi le code pénal sanctionne-t-il désormais le doxxing ?
Jusqu’à récemment, le doxxing n’était pas sanctionné en tant que tel. C’étaient davantage ses conséquences (le harcèlement, la diffamation, l’injure publique, etc.) qui pouvaient faire l’objet de poursuites.
L’introduction du doxxing dans le code pénal en tant qu’infraction à part entière a été motivée par un événement dramatique qui a marqué tous les Français, à l’automne 2020 : l’affaire Samuel Paty.
Ce professeur d’histoire-géographie dans un collège de région parisienne a été décapité par un terroriste à la suite d’une séquence pédagogique sur les caricatures de Mahomet, après qu’un parent d’élève a révélé sur les réseaux sociaux son nom et le nom de l’établissement scolaire où il enseignait.
Dans les suites de cet événement, il est apparu nécessaire de légiférer sur ce nouveau phénomène, de plus en plus fréquent, notamment sur Internet. C’est ce qui a motivé l’introduction d’un nouvel article 223-1-1 dans le code pénal, via la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République.
Doxxing : quels sont les éléments constitutifs de l’infraction ?
L’article 223-1-1 du code pénal énonce
"Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser aux fins de l'exposer ou d'exposer les membres de sa famille à un risque direct d'atteinte à la personne ou aux biens, que l'auteur ne pouvait ignorer, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (…)."
Les conditions posées par ce texte sont cumulatives.
Quelles informations ?
La formulation est large. Il s’agit de toute information relative à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne, dès lors qu’elle permet une identification ou une localisation : identité, adresse personnelle ou professionnelle, lieu de travail, activité professionnelle, révélation de liens familiaux, informations sur les enfants, photo à visage découvert et permettant une identification, etc. La liste n’est pas exhaustive.
Par quels moyens ?
L’article 223-1-1 du code pénal fait référence aux notions de :
- révélation : le terme sous-entend la notion de secret. L’information ne doit pas être déjà connue ou de notoriété publique.
- diffusion : l’information est répandue, propagée, et ne se limite pas à un cercle privé et restreint.
- transmission : l’infraction peut donc être constituée même si une personne ne fait que propager et transmettre une information personnelle sur un tiers, sans être à l’origine de la divulgation initiale. Ce point est important, notamment sur les réseaux sociaux où les informations peuvent être partagées, parfois sans ajouter de commentaire spécifique (par exemple par un retweet).
La révélation, diffusion ou transmission peut se faire par "quelque moyen que ce soit".
Cette formulation large n’exclut donc aucun support : journal, affiche, réseau social, site Internet, post, commentaire, article de blog, etc.
Dans quel but ?
Pour être susceptible de poursuites, la révélation doit faire courir à la victime un risque que l’auteur ne pouvait ignorer. En d’autres termes, l’objectif poursuivi est d’exposer sciemment la victime, ou les membres de sa famille, à un risque direct d'atteinte à sa personne ou à ses biens. C’est l’élément intentionnel de l’infraction.
Cette formulation appelle trois commentaires :
- Le doxxing se caractérise donc par une intention malveillante de la part de celui qui s’y livre. Elle peut être caractérisée même si l’auteur des révélations n’a pas pour intention de porter personnellement atteinte à la personne ou aux biens de la victime. Il suffit que sa révélation, faite en toute connaissance de cause, ait fait naître le risque d’une telle atteinte, y compris par une tierce personne qui s’en empare.
- La révélation peut viser une personne mais aussi sa famille (a priori au sens large, en l’absence de précision du texte).
- Les atteintes à la personne ou aux biens ne sont pas détaillées. Sont évidemment visées les atteintes physiques (agression par exemple), psychologiques, mais aussi les atteintes à l’honneur (diffamation, harcèlement, etc.).
A savoir
L’infraction est constituée quand bien même la divulgation d’informations personnelles ne serait suivie d’aucune conséquence. Comme l’ont rappelé les débats parlementaires autour de cette nouvelle infraction, "il s’agit d’incriminer un comportement, indépendamment de ses conséquences".
Quelles sont les peines encourues par l’auteur d’un doxxing ?
Le doxxing est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Ces sanctions sont portées à cinq ans et 75 000 euros dans certains cas :
- Quand la victime est une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou titulaire d'un mandat électif public ou journaliste : cette aggravation des peines peut donc trouver à s’appliquer pour un professionnel de santé hospitalier.
- Quand la révélation vise une personne mineure.
- Quand la personne visée est en situation de particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, et que cette situation est apparente ou connue de l’auteur des révélations.
- Quand la révélation est faite par voie de presse écrite ou audiovisuelle, ou en ligne, les dispositions spécifiques qui régissent ces supports s’appliquent : le directeur de la publication d’un média écrit ou le propriétaire du site Internet en cas de communication en ligne pourront être pénalement poursuivis.
La prescription de l’action, c’est-à-dire le délai au-delà duquel il n’est plus possible de porter plainte, n’est pas abordée dans la loi. La jurisprudence tranchera sans doute ce point à l’avenir.
Il sera particulièrement intéressant de connaître l’appréciation des juges sur le délit de doxxing commis en ligne : considèreront-ils que dès lors que la révélation est toujours en ligne, la prescription ne peut commencer à courir ?
Les conseils de la MACSF si vous êtes victime de doxxing
Le doxxing est une infraction récente, sur laquelle nous n’avons pas encore de recul. Il n’est pas possible aujourd’hui de savoir comment les juges apprécieront les critères posés par le code pénal.
Si vous pensez être victime de doxxing, un dépôt de plainte est possible. Pour l’étayer, il est recommandé de :
- recueillir le maximum de preuves de l’élément matériel de l’infraction. Lorsque la révélation a été faite sur un réseau social, l’idéal est de fournir le lien qui permet de la constater dans son contexte. Mais ce n’est pas toujours possible, par exemple quand l’auteur de la révélation a appliqué à son compte des paramètres qui en limitent l’accès. Il est alors toujours possible de fournir des captures d’écrans, faisant apparaître la date et l’heure.
- recueillir le maximum de preuves sur l’élément intentionnel de l’infraction, c’est-à-dire l’intention malveillante de l’auteur des révélations et sa conscience des conséquences que peut avoir la diffusion d’informations personnelles vous concernant. Si vous êtes "doxxé" par un contradicteur qui a déjà proféré à votre encontre des menaces, des insultes, ou qui a participé à votre cyberharcèlement, il faut conserver tout élément qui permet de l’établir : liens, captures d’écrans, témoignages de tiers, etc.
L’objectif n’est pas d’apporter des preuves comme dans une procédure civile mais de fournir le maximum d’éléments nécessaires à l’enquête et à l’instruction.
Dans tous les cas, il faut agir rapidement pour recueillir ces preuves.