L'hydrotomie ne repose pas sur les données de la science
Dans une décision du 27 juin 2023, la chambre disciplinaire de première instance des régions PACA et Corse de l’Ordre des médecins, saisie par le Conseil National de l’Ordre des médecins de différentes plaintes formulées à l’encontre de médecins, a jugé que la technique dite de l’hydrotomie percutanée constituait "un procédé insuffisamment éprouvé".
Elle relève que cette technique, consistant en l’injection de sérum physiologique par voie intradermique ou sous-cutanée, additionnée à d’autres éléments fortement dilués, n’est reconnue ni par la Haute Autorité de Santé (HAS), ni par une quelconque autorité ou société savante.
Elle se fonde notamment sur l’avis rendu le 5 octobre 2021 par l’Académie Nationale de Médecine, qui avait conclu que la technique n’était ni "scientifiquement fondée ni cliniquement évaluée" et en déconseillait la pratique par les professionnels de santé. Elle en déduit qu’elle ne repose pas sur les données acquises de la science et qu’il s’agit donc d’un procédé que les médecins ne peuvent proposer aux malades comme salutaire ou sans danger, au sens de l’article R. 4127-39 du code de la santé publique.
Cette position a été reprise par l’Ordre National des infirmiers qui, dans le cadre d’une procédure ordinale jugée le 11 mai 2023 mettant en cause des infirmiers, a également considéré que cette pratique "ne répond pas à des soins consciencieux".
Ainsi, l’Ordre des médecins et l’Ordre des infirmiers condamnent fermement l’usage de cette technique.
Cette sévérité s’inscrit dans le cadre d’une vigilance accrue pour lutter contre les dérives des pratiques de soins non-conventionnelles.
La décision de l'Ordre infirmier a été contestée devant le Conseil d'État.
Celui-ci, par une décision du 10 octobre 2023, a rejeté cette contestation. Il a considéré que l'arrêt de l'hydrotomie percutanée n'entraîne pas, en l'absence de bénéfice prouvé, de conséquences difficilement réparables chez les patients.
De plus, si l'arrêt de cette pratique prive certains professionnels d'une partie de leurs revenus, il n'est pas démontré l'impossibilité pour eux de réorienter leur pratique vers d'autres actes infirmiers.
Cependant, il a admis que la décision du 11 mai 2023 enjoignant au Conseil national de l’Ordre des infirmiers de diffuser une mise en garde à tout infirmier contre cette pratique et de l'inviter à la cesser sans délai, sous peine de poursuites disciplinaires, était entachée d’une erreur de droit. En effet, la chambre disciplinaire n’avait pas la compétence pour prononcer de telles injonctions.
Récemment, dans une décision du 11 octobre 2024, le Conseil d’Etat a donc annulé la décision du 11 mai 2023 qui prononçait cette injonction, sans toutefois remettre en cause les sanctions prononcées.
Un signal d'alarme sur les dérives des pratiques de soins non-conventionnelles
Cette décision intervient alors que l’Ordre des médecins vient de publier un rapport de 85 pages sur les pratiques de soins non conventionnelles et leurs dérives, prenant ainsi le relais de l’Académie Nationale de Médecine et de son communiqué de 2021.
En effet, le Conseil de l’Ordre et l’Académie Nationale de Médecine constatent un engouement croissant des patients pour les thérapies complémentaires, en réaction à une offre de soins conventionnels insuffisante.
Selon le ministère de la Santé, ces pratiques ne sont ni reconnues sur le plan scientifique par la médecine conventionnelle, ni enseignées au cours de la formation initiale, faute de données venant les valider.
Ils mettent donc en garde sur ces techniques : certaines ont certes fait leurs preuves et sont d’ores-et-déjà intégrées comme approche complémentaire, proposée dans les hôpitaux pour accompagner les patients et les aider à mieux supporter leur maladie ou leur traitement. Mais elles peuvent aussi être à l’origine d’une perte de chance pour le patient de recourir à une prise en charge conventionnelle plus précoce lorsqu’elles sont présentées comme alternatives et non comme complémentaires. Elles peuvent aussi parfois être vectrices de dérives thérapeutiques et d’emprise mentale.
Leur usage est donc susceptible de mettre les médecins et les professionnels de santé en infraction avec leur code de déontologie ou le code de la santé publique.
Quelles précautions prendre ?
Tant pour le CNOM que pour l’Académie Nationale de Médecine, il est nécessaire de :
- Faire le tri entre les pratiques dangereuses pour la santé des patients et celles qui peuvent présenter un intérêt dans l’accompagnement du malade.
- Prévoir un encadrement règlementaire des pratiques de soins, préalablement assorti de travaux scientifiques d’évaluation conformément aux règles de l’art.
- Protéger l’utilisation du titre de "Docteur" et du terme de "Médecine" pour éviter les confusions.
- Réserver l’enseignement dans les facultés de médecine et les instituts de formation aux seuls étudiants en médecine ou professions de santé.
- Poser l’interdiction d’enseigner les PSNC par l’obtention d’un DU au sein des facultés de médecine.
- Recréer l’organisme, aujourd’hui disparu, d’évaluation et de contrôle GAT PSNC (Groupe d’Appui Technique Pratiques de Soins Non Conventionnelles).
On notera qu’une étude sur les pratiques non conventionnelles devrait être diligentée dans les prochains mois, à la demande du gouvernement.
Alors, avant de vous lancer dans une pratique de soins non conventionnelle, méfiance, renseignez-vous !
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