Legs par un patient : pas si anodin
Dans l’absolu, il est compréhensible qu’un patient souhaite gratifier un professionnel de santé qui l’a soigné avec humanité et efficacité.
Mais au moment où il prend sa décision et effectue les démarches (comme la rédaction d’un testament), il peut être en position de faiblesse en raison de sa maladie. C’est cette particularité de la relation soignant/patient qui justifie que le legs soit régi par des règles déontologiques strictes, destinées à éviter tout risque d’instrumentalisation de l’un par l’autre.
En effet, dans ce contexte si particulier, le risque est double :
- La perspective d’obtenir un avantage, sous forme de dispositions testamentaires, peut influencer la manière dont le professionnel de santé prend en charge son patient. Le soignant peut, par exemple, être tenté de se plier à toutes les demandes de son patient pour le satisfaire, quitte à prescrire des examens inutiles ou des ordonnances pléthoriques. Au risque de perdre l’objectivité et le recul nécessaires. C’est donc toute la relation humaine entre soignant et malade, si essentielle dans le "colloque singulier", qui peut être mise à mal par ce conflit d’intérêt.
- Le patient, qui peut déjà être dans une position de vulnérabilité du fait de sa maladie, n’a pas à dépendre d’une éventuelle promesse de legs pour prétendre à des soins de qualité. Il ne peut non plus être exposé à un risque de captation de ses biens par les soignants qui lui prodiguent des soins.
L’interdiction d’accepter un legs en cas de prise en charge de la maladie, cause du décès
Le principe est clair : les professionnels de santé ne peuvent accepter des legs de la part d’un patient quand ils ont traité la maladie dont il est décédé.
Cette position stricte s’explique par le fait qu’il existe une présomption de captation des biens du malade.
Ce principe est posé dans plusieurs textes qui, pour la plupart, ne distinguent pas selon la capacité du patient et n’exigent pas la preuve de sa situation de vulnérabilité.
Ces textes peuvent être regroupés en trois grands cadres juridiques :
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Ce que dit le code civil
L’article 909 du code civil dispose que les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont traité une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs (don) ou testamentaires (legs) que cette personne aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie.
Seule exception possible : s’il existe un lien de parenté entre le soignant et le patient, jusqu’au 4e degré, et pourvu que le défunt n’ait pas d’héritiers en ligne directe.
Ce texte s’applique donc :
- à toutes les professions médicales et paramédicales ;
- uniquement dans l’hypothèse où la personne est décédée des suites de la maladie pour laquelle elle a été prise en charge par le soignant, et non pour un autre motif ;
- dès lors qu’il n’existe aucun lien de parenté jusqu’au 4e degré entre soignant et patient.
Comme l’a indiqué le Conseil constitutionnel par une décision n° 2022-1005 QPC du 29 juillet 2022, cet article ne porte pas atteinte au droit qu’a le patient de disposer librement de ses biens, attribut du droit de propriété, et ce, pour deux raisons :
- La protection de personnes placées en état de particulière vulnérabilité en raison de leur maladie constitue un but d’intérêt général, qui justifie cette restriction au droit de disposer de son patrimoine.
- L’interdiction a une portée limitée puisqu’elle ne vise que les soignants qui ont prodigué des soins pendant la maladie qui a emporté le patient.
Ce que dit le code de la santé publique
L’article R.4127-52 du code de la santé publique précise, pour les médecins, que le praticien qui a pris en charge une personne pendant la maladie dont elle est décédée ne peut profiter des dispositions entre vifs et testamentaires faites par celle-ci en sa faveur pendant le cours de cette maladie que dans les cas et conditions prévus par la loi.
L’article R.4312-54 du même code rappelle l’obligation de l’infirmier de "ne pas user de sa situation professionnelle pour tenter d’obtenir, pour lui-même ou pour autrui, un avantage ou un profit injustifié".
Ce que dit le code pénal
L’article 223-15-2 du code pénal incrimine le fait d’abuser frauduleusement de l’état de faiblesse d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à une maladie, est apparente et connue de son auteur.
Il est néanmoins possible, dans le cadre d’une succession, que le soignant soit gratifié d’une libéralité, sous réserve que sa valeur ne soit pas disproportionnée :
- par rapport à la valeur totale de la succession,
- par rapport au service rendu par le soignant.
Il doit donc s’agir d’une somme généralement modeste.
Qu’en est-il des legs hors du cadre de la dernière maladie ?
La loi interdit d’accepter les legs consentis par un patient décédé de la maladie pour laquelle il a été pris en charge par le professionnel de santé.
A contrario, si le soignant est intervenu dans la prise en charge d’une autre maladie que celle qui a été fatale, il n’est pas visé par l’interdiction.
Cette situation est difficile à apprécier avec certitude, car il n’est pas toujours évident de déterminer le cadre exact de la prise en charge, surtout en cas de maladie chronique ou, à l’inverse, aiguë.
Plusieurs éléments doivent être pris en compte pour apprécier cette situation :
- La capacité à recevoir du légataire est appréciée au jour du décès.
- La date importante à prendre en compte est celle de la révélation de la maladie, et pas forcément de son diagnostic. Comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 16 septembre 2020 : peu importe la date où le diagnostic a été posé avec certitude ; il suffit que le soignant ait dispensé des soins dans le cadre de la maladie fatale pour que l’incapacité à recevoir soit établie.
- Peu importe également qu’il existe des liens affectifs anciens entre le soignant et le patient. Y compris dans le cas où un praticien prend en charge, à titre gratuit, un ami qui devient donc son patient pendant sa maladie (Cour de cassation, 5 novembre 2020).
- La notion de soins pendant la maladie fatale sera appréciée largement : il peut autant s’agir d’une intervention chirurgicale que d’une prise en charge au long cours ou d’un simple avis. Dans un arrêt du 4 novembre 2010, la Cour de cassation a considéré qu’un suivi psychothérapeutique dans le cadre d’un cancer du poumon constituait bien une modalité de prise en charge de la maladie fatale, bien que ne visant pas à la guérir ou la traiter en tant que telle.
En pratique : que se passe-t-il en cas de legs en votre faveur ?
La donation faite par un malade n’est pas en soi nulle
Il est libre de disposer de son patrimoine comme il l’entend, dans la limite des règles successorales, et notamment du respect de la quotité disponible.
Si vous avez pris en charge le patient pour la maladie qui l’a emporté
Du fait de l’interdiction de recevoir visant le soignant, la donation sera annulée et ne pourra pas produire d’effet si elle est contestée par un tiers. En cas de litige, ces tiers n’auront pas à prouver l’existence d’une intention de captation des biens de votre part : le seul fait que vous soyez intervenu dans la prise en charge de la maladie fatale suffira à invalider le legs, peu importe votre bonne foi.
Si vous avez pris en charge le patient pour un autre motif que la maladie qui l’a emporté
Le legs est en principe valable, sauf si la preuve est rapportée de ce que vous avez en réalité dispensé des soins pour la maladie fatale. Il en ira de même s’il est établi que vous avez exercé une quelconque pression sur le patient pour obtenir ce legs.
6 points à retenir
- Tout soignant qui a pris en charge un patient pour la maladie dont il est décédé ne peut accepter de legs de ce patient.
Le professionnel de santé doit donc dissuader le patient si celui-ci lui fait part de telles intentions de son vivant. S’il découvre le legs à la mort du patient, il est souhaitable d’y renoncer pour éviter toute contestation des héritiers. - L’interdiction ne concerne pas les soignants qui ont dispensé des soins pour un autre motif que la maladie qui s’est avérée fatale.
Un soignant qui a pris en charge le patient pour une autre pathologie, ou à une époque lointaine, où la maladie n’était pas déclarée, peut en principe accepter un legs. Ce sont des points que le juge vérifiera en cas de litige. C’est justement ce pouvoir souverain d’appréciation du juge qui permettra parfois de trancher les cas délicats où la cause du décès n’est pas connue avec certitude. - Peu importe la date du diagnostic.
Le seul fait qu’il y ait eu prise en charge de la maladie fatale suffit à interdire le recueil d’une libéralité, même si le diagnostic a été porté après. - Le degré de proximité entre le soignant et le patient importe peu.
La nature des relations soignant/patient, aussi étroite soit-elle, ne suffit pas à gommer la qualité de soignant, dès lors qu’il est établi que des soins médicaux ou paramédicaux ont été dispensés. - Si un soignant ne peut hériter de son patient s’il l’a pris en charge pour sa dernière maladie, il peut cependant être désigné exécuteur testamentaire.
- De manière générale, la prudence s’impose.
Dans tous les cas, que le patient soit décédé ou non de la maladie pour laquelle il a été pris en charge, il faut se montrer extrêmement prudent. Il est préférable de tenter de le dissuader de faire un legs lorsqu’il manifeste cette intention, et d’y renoncer spontanément si le legs n’est découvert qu’après le décès. En effet, plus que la protection des intérêts financiers de la famille, c’est l’image et la probité de la profession de soignant qui est en cause dans ce genre de situation.