Quelles ont été les séquelles de l’intervention ?
En juillet 2007, un patient présentant une parodontite sévère est pris en charge par un chirurgien-dentiste qui procède à l’extraction des dents 16, 26 et 27. Souffrant de céphalées importantes et de fièvre, ce patient consulte son médecin traitant qui lui prescrit un bilan sanguin.
Le 31 juillet 2007, il est pris en charge par le service des urgences qui réalise un bilan biologique et un scanner cérébral.
Le 10 août 2007, une intervention chirurgicale révèle un "abcès cérébral encapsulé" qui nécessite une intervention chirurgicale. Le patient est placé sous antibiothérapie et regagne son domicile quelques jours après mais conserve des séquelles importantes (perturbation des fonctions cognitives, troubles mnésiques et comportementaux) nécessitant un traitement antiépileptique, antipsychotique et antidépresseur.
Le praticien a-t-il commis un manquement fautif de nature à engager sa responsabilité ?
Estimant que des fautes ont été commises et qu’elles sont en lien avec son préjudice, le patient saisit la Commission de conciliation d’indemnisation des accidents médicaux (CCI) qui désigne un collège d’experts. La Commission rejette sa demande et considère que les dommages ne sont imputables ni à une faute du praticien, ni à une faute de l’hôpital, ni à un accident médical non fautif.
Le patient décide alors d’assigner le chirurgien-dentiste et l’ONIAM (Office National d’indemnisation des accidents médicaux) devant le tribunal de grande instance pour solliciter l’indemnisation de ses préjudices.
Il reproche au praticien :
- De ne pas avoir respecté son obligation d’information en ne tenant pas de dossier médical et en ne l’informant pas des risques inhérents aux extractions dentaire.
- Une absence de cliché radiographique préopératoire, de radiographie panoramique qui auraient permis de visualiser un éventuel foyer infectieux et d’antibiothérapie.
Quel lien de causalité entre l’extraction et l’abcès cérébral ?
Avis des experts et analyse du lien de causalité
Le collège d’experts conclut à l’absence de faute technique commise par le chirurgien-dentiste et considère que "la survenue de l’abcès est une complication rarissime et imprévisible constitutive d’un aléa thérapeutique".
Il estime toutefois que si le lien de causalité entre l’abcès cérébral et une bactériémie entraînée par les extractions dentaires est hautement probable, la certitude ne peut être cependant établie à 100 %. En effet, il s’agit d’un germe exogène saprophyte normal de la cavité buccale (streptocoque anaérobie) qui ne relève pas d’une infection nosocomiale, ni d’un germe apporté par le praticien lors des extractions.
Il n’y a donc "aucun lien direct et certain entre les extractions dentaires et l’abcès cérébral".
Les juges se fondent sur le rapport d’expertise pour rejeter l’ensemble des demandes du patient.
Tenue du dossier médical, information du patient et prise en charge postopératoire
Sur l’absence de tenue du dossier médical, le tribunal reconnaît que "si une certaine légèreté peut être reprochée" au praticien, "aucun lien de causalité entre ce manquement et les dommages subis ne peut être établi".
S’agissant plus particulièrement de l’information sur les risques que le praticien devait dispenser, le tribunal rappelle qu’aux termes de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique (CSP), elle doit porter sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles.
Or, il résulte de l’expertise que la survenue d’un abcès cérébral est "imprévisible et rarissime", et "décrite de façon exceptionnelle" dans la littérature médicale. En conséquence, le praticien n’avait pas à dispenser cette information à son patient.
Le praticien était, de plus, légitime à ne pas mettre en place d’antibiothérapie postopératoire compte tenu des règles de l’art en vigueur en 2007. Le tribunal ajoute, en outre, qu’aucun foyer d’infection profond majeur susceptible d’être à l’origine de l’abcès au cerveau n’a été de toute façon retrouvé lors des nombreux examens réalisés par le patient à l’hôpital.
Pourquoi le tribunal rejette-t-il la demande d’indemnisation ?
En ce qui concerne la demande de prise en charge de ses préjudices par la solidarité nationale, le tribunal considère que si les conditions d’absence de faute, de conséquences anormales au regard de l’état de santé et de gravité des séquelles sont remplies, la condition d’imputabilité directe du dommage à un accident médical n’est pas établie.
Dans ces conditions, la demande de prise en charge au titre de la solidarité nationale du patient doit être rejetée.
Le patient voit donc sa demande rejetée à double titre et ne sera pas indemnisé pour les dommages subis à la suite des extractions dentaires.