De graves complications après application d’un patch de fentanyl
Une patiente de 53 ans consulte son médecin généraliste pour cervicalgies intenses. Elle est connue pour souffrir de céphalées migraineuses et d’un syndrome fibromyalgique suivis en centre antidouleur. Son traitement habituel consiste en une polythérapie antalgique dont du tramadol, parfois pris à forte dose.
Le médecin prescrit un traitement par voie transdermique de fentanyl à 100 microgrammes/heure à hauteur d’un patch tous les trois jours, pour une durée de 9 jours.
À domicile, la patiente applique un premier patch de fentanyl.
Le lendemain, elle est retrouvée dans un état comateux, conduisant à son hospitalisation au CHU où elle est prise en charge dans le service de réanimation pour un coma d’origine toxique avec défaillance multiviscérale.
Après une amélioration de son état de santé, elle est autorisée à rentrer à domicile.
Deux semaines plus tard, la patiente est réadmise au CHU en raison d’une confusion et d’une désorientation temporo-spatiale.
Sur la base de multiples examens, il a été conclu à une leucoencéphalopathie post-anoxique retardée à l’origine de déficits moteurs des membres inférieurs et de troubles cognitifs nécessitant une longue hospitalisation et un séjour en centre de revalidation.
Elle engage une procédure auprès de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux (CCI) à l’encontre du médecin prescripteur.
Au moment de l’expertise médicale, la patiente conserve essentiellement des troubles mnésiques et des troubles attentionnels.
Quelles précautions lors de la prescription de morphiniques en ville ?
Les morphiniques prescrits par un médecin généraliste en ville nécessitent des précautions particulières pour éviter les risques de dépendance, de surdosage et d'effets indésirables.
Voici les principales recommandations de prudence :
- Prescrire les opioïdes uniquement en cas de douleurs intenses ne répondant pas aux antalgiques de palier 1 (paracétamol, AINS) ou palier 2 (tramadol, codéine).
- Évaluer les antécédents du patient, notamment une histoire de dépendance ou de troubles psychiatriques.
- Vérifier l'absence de contre-indications : insuffisance respiratoire sévère, insuffisance hépatique avancée, etc.
- Privilégier une titration progressive, en commençant par la dose efficace la plus faible.
- Éviter l'association avec d'autres dépresseurs du système nerveux central (benzodiazépines, alcool, certains antidépresseurs) pour limiter le risque de dépression respiratoire.
- Informer le patient sur la durée prévue du traitement et les risques d’accoutumance et de dépendance.
- Programmer une réévaluation régulière (au moins tous les 7 jours à 14 jours en début de traitement).
- Vérifier l'efficacité et la tolérance du traitement, ainsi que l'éventuelle survenue de signes de dépendance (recherche compulsive du médicament, augmentation des doses sans avis médical).
- Limiter la durée de prescription et éviter les renouvellements automatiques.
Prescription fautive ?
La Commission de Conciliation et d’Indemnisation a suivi les conclusions des experts et a retenu un manquement du médecin généraliste.
Pour ce faire, elle relève que :
- La patiente a été victime d’un coma d’origine toxique dès le lendemain de la prise de fentanyl ainsi que d’une dépression respiratoire qui est une complication connue de cet opioïde.
Compte tenu de la survenue précoce de ces complications et de leur nature, la Commission estime qu’un lien de causalité direct et certain peut être établi entre les troubles présentés et la prise de fentanyl. - La prise en charge dispensée par le médecin n’a pas été conforme aux règles de l’art. Du fait de ses pathologies, la patiente prenait de nombreux opioïdes à un dosage important, souvent plus élevé que celui prescrit en cas d’accès douloureux.
La Commission considère que malgré la résistance aux antalgiques développée par la patiente, cette surconsommation d’opioïdes, connue du médecin, aurait dû conduire à une administration progressive de fentanyl, à des doses intermédiaires compte tenu du risque accru chez la patiente de développer un coma d’origine toxique. Ainsi, la prescription de fentanyl à 100 microgrammes/heure, sans dosage de transition, a été fautive. - Enfin, même en supposant que le dosage prescrit aurait été le seul efficace, la prescription a été faite dans un contexte ne permettant aucune surveillance. Le médecin conseil en défense du dossier avait pourtant fait valoir que la patiente était très demandeuse d’une solution radicale pour la soulager. En effet, elle était en crise aiguë avec une inefficacité du tramadol à forte dose. Le médecin traitant a jugé que les faibles doses de fentanyl n’auraient eu aucun effet. Sa patiente avait déjà bénéficié d’un tel traitement sans problème particulier.
Il convient donc de prescrire de façon prudente les morphiniques en médecine de ville, selon les recommandations des autorités de santé.
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