Des graves troubles après la prise de vitamine D chez un nourrisson
Le jeune C est né à terme après 39 semaines d’aménorrhée. Sa mère n’a pas d’antécédent particulier. Elle est supplémentée en vitamine D au cours de la grossesse à la posologie habituelle. Il n’y a pas d’antécédents familiaux d’hypercalcémies ou de lithiases rénales. La période néonatale est normale et ils sortent de la maternité à 4 jours de vie. L’enfant reçoit une supplémentation vitaminique, le médicament Adriagyl prescrit à la maternité (10 000 UI/ml soit 333 UI/goutte).
L’enfant est ensuite suivi par une sage-femme libérale, en suites de couches.
Celle-ci conseille à la mère la vitamine Sunday naturelle car l’Adriagyl contiendrait des perturbateurs endocriniens. De plus, la mère lit sur Internet que l’Adriagyl pourrait être à l’origine de coliques de nourrisson.
Initialement, la maman n’achète pas cette vitamine. L’enfant est revu 3-4 fois au cours de ce même mois.
Le 13 janvier, sa mère commande la vitamine Sunday naturelle.
Le 20 janvier, après avoir terminé un flacon d’Adriagyl, les parents donnent à leur enfant le complément alimentaire, acheté sur internet, "Vitamines D3 10 000 UI+K2 MK7", dosé à 10 000 UI par goutte) à raison de trois gouttes par jour, soit 30 000 UI/j.
Les premiers symptômes sont observés par les parents à partir du 14 février.
L’enfant commence à refuser les biberons, avec perte de poids. Il est hospitalisé dans le service d’endocrinologie pédiatrique pour hypercalcémie sévère liée à une intoxication à la vitamine D, confirmée biologiquement.
Le bilan biologique prescrit en ville retrouve une hypercalcémie avec PTH effondrée et calciurie élevée.
Au cours du séjour, l’évolution est marquée par la poursuite de l’hyperhydratation par voie veineuse puis par sonde naso-gastrique.
La supplémentation par vitamine D et l’allaitement maternel ont été arrêtés, et les apports de calcium out été diminués dans le lait et dans l’eau. Aucun signe neurologique ou cardiaque n’a été observé en lien avec l’hypercalcémie. Celle-ci a diminué progressivement.
L’échographie rénale réalisée retrouve un aspect hyperéchogène des pyramides des deux reins pouvant évoquer une néphrocalcinose médullaire bilatérale.
Le contrôle à deux ans de l’enfant est rassurant, tant au niveau biologique que sur le plan échographique qui reste cependant inchangé.
Une surveillance échographique est à poursuivre tous les 2 ans.
Le pédiatre recommande de maintenir une hydratation abondante et donne des conseils de protection rénale (apports en viande/poisson/œuf contrôlé à un repas par jour, éviter les médicaments avec une toxicité rénale comme les anti inflammatoires non stéroïdiens). L’enfant doit avoir par ailleurs des apports normaux pour son âge en calcium et en vitamine D.
Une intoxication à la vitamine D
Selon le rapport de l’Anses (Saisine n° 2020-VIG-0186) , l’imputabilité des compléments alimentaires dans la survenue des hypercalcémies sévères a été analysée par le groupe de travail "Nutrivigilance" en appliquant la méthode définie dans l’avis révisé de l’Anses du 10 juillet 2019 relatif à l’actualisation de la méthode d’imputabilité des signalements d’effets indésirables de nutrivigilance (Anses 2019).
Le score chronologique concerne le délai d’apparition de l’effet indésirable, son évolution et sa réapparition lors de la réintroduction éventuelle des produits.
Dans le cas de cet enfant, le délai d’apparition de l’effet indésirable a été jugé "compatible".
L’effet régressant après l’arrêt du complément alimentaire et après l’administration d’un traitement réputé efficace (hydratation), l’évolution est qualifiée de "non interprétable". Il n’y a pas eu de réintroduction du complément alimentaire. Au vu de ces éléments, le score chronologique est C2 (Le score chronologique s’échelonne de C0 (nul) à C4 (élevé)).
Le score étiologique est déterminé sur la base de l’enquête étiologique effectuée. Dans les cas de cet enfant, l’enquête étiologique met en évidence une intoxication à la vitamine D. Le mésusage des compléments alimentaires, conduisant à une exposition des nourrissons à une dose trente à quarante fois supérieure à celle recommandée, constitue une étiologie identifiée. Par conséquent, le score étiologique est E3 (Le score étiologique s’échelonne de E0 (une autre cause a été identifiée) à E3 (toutes les causes fréquentes ont été écartées ou le produit évalué a été formellement incriminé).
Combinant le score chronologique et le score étiologique, le score intrinsèque s’établit à I3 pour cet enfant, signifiant que la responsabilité du mésusage du complément alimentaire dans la survenue de l’hypercalcémie sévère est vraisemblable.
Le score d’imputabilité extrinsèque évalue la qualité de la démonstration scientifique de la relation de cause à effet entre la consommation d’un ingrédient ou d’un produit et un effet indésirable. Il est établi selon les données de la littérature, à une date donnée. Dans le cas présent, la recherche bibliographique a porté sur l’existence dans la littérature d’autres cas d’intoxication à la vitamine D.
Les symptômes d’une intoxication à la vitamine D sont bien connus, ils comprennent :
- une hypercalcémie par augmentation de l’absorption intestinale du calcium et de la résorption osseuse,
- une confusion,
- une polyuro-polydipsie,
- une déshydratation avec perte de minéraux au niveau rénal,
- une anorexie,
- divers troubles du transit,
- des troubles de la conduction cardiaque,
- des arythmies.
L’hypercalcémie peut entrainer une déminéralisation osseuse et une néphrocalcinose. D’autres cas d’hypercalcémie liés à une intoxication à la vitamine D de nourrissons sont rapportés dans la littérature.
L’ensemble des postes de préjudice chez cet enfant n’a pu être évalué compte tenu de son jeune âge et de la difficulté à apprécier le risque néphrologique suite à cette intoxication.
Que retenir de ce cas clinique ?
Les conclusions du Groupe de travail sont les suivantes :
"De nombreux autres cas de mésusages de compléments alimentaires contenant de la vitamine D conduisant à une intoxication de nourrissons sont publiés dans la littérature. Cela montre que ce risque est déjà connu et que les mesures prises sont insuffisantes pour empêcher de nouvelles intoxications.
Les causes de mésusages de la vitamine D sont diverses. Ils sont notamment liés à l’utilisation de compléments alimentaires destinés aux adultes avec un dosage en vitamine D bien supérieur au dosage dans les produits destinés aux nourrissons. La façon dont le dosage est exprimé (par ml ou par goutte) concourt à cette confusion".
Avec la disparition des beaux jours et la diminution de l’ensoleillement, la vitamine D est recommandée pour faire le plein d’énergie et prendre soin de son système immunitaire. Au moins la moitié de la population française manque de vitamine D.
L’ingestion de vitamine D est la plupart du temps sans danger.
Cependant, en cas de surdosage, celle-ci peut entrainer des conséquences graves liés à l’hypercalcémie résultante : une anorexie, des nausées et des vomissements peuvent se développer et sont souvent suivis d’une polyurie, polydipsie, d’une asthénie, d’une nervosité, d’un prurit et finalement d’une insuffisance rénale*.
Au côté de certains médicaments disponibles dans notre pharmacopée (Zyma D®, Adrigyl), il existe des compléments alimentaires en vente libre sur internet avec des posologies variables, que les patients peuvent se procurer directement.
Le conseil de la MACSF
A partir de ce cas clinique, la MACSF attire l’attention des professionnels de santé sur le fait de bien expliciter les ordonnances en particulier la forme et la posologie et du danger de l’utilisation de compléments alimentaires délivrés sans prescription médicale.