Qu'est-ce que la diffamation ?
"Mauvais médecin, il est passé à côté d’un diagnostic". "Très désagréable, hautaine, le Docteur X expédie ses patients. Je ne recommande pas !". "Le cabinet est sale, limite insalubre, et le docteur n’est pas net non plus !". "Le Dr Y n’était pas dans son état normal avant l’intervention, à croire qu’il était ivre !"...
Il n’est pas si rare que de tels avis soient rédigés sur Internet sur des soignants. On les trouve principalement sur les fiches Google du professionnel de santé, mais ils peuvent aussi être rédigés sur les réseaux sociaux, à la faveur d’un échange entre internautes.
Dans tous les cas, ces avis sont publics et de nature à nuire au professionnel.
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Pour autant, peuvent-ils être considérés comme diffamatoires ? Il n’est pas toujours évident de répondre à cette question.
L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit la diffamation comme :
- une allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ;
- publiée directement ou par voie de reproduction. Sur Internet, et en particulier sur un réseau social, les propos sont toujours considérés comme publics, sauf cas très particulier d’une diffusion sur un compte qui restreint ses publications à un cercle réduit de personnes choisies ;
- même si cette allégation est exprimée sous une forme dubitative ou au conditionnel ;
- et même si la personne ou le corps visés ne sont pas expressément nommés, dès lors qu’une identification est rendue possible par les termes du discours incriminé. Par exemple, "Le médecin du village est un alcoolique" quand il n’y a qu’un seul médecin dans le village.
À retenir
- Il peut y avoir diffamation même quand le fait est présenté comme non certain, sous forme de sous-entendu.
- La diffamation se distingue de la critique ou de l’opinion qui, elles, sont légitimes. Tout dépend donc de la mesure dans l’expression des propos.
- La diffamation comporte un élément moral qui consiste en la volonté de porter atteinte à l’honneur ou à la considération.
Qu'est-ce que l'injure ?
L’injure est également définie à l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. Elle consiste en "Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait".
Il s’agit d’une atteinte à l’honneur, comme la diffamation, mais sans qu’il y ait imputation de faits déterminés.
Exemple
"Le Dr X était ivre lors de la consultation du 12 décembre" est une diffamation.
"Le Dr X est un alcoolique" est une injure.

Le sens dans lequel le mot "injure" est employé dans la vie courante peut faire croire qu’elle se limite à l’usage de vocables grossiers. Ce n’est pas le cas. Il peut s’agir, plus largement, d’invectives ou de propos blessants, sans pour autant être grossiers.
L'auteur de la diffamation ou de l'injure est-il protégé par l'anonymat ?
Les personnes qui tiennent des propos susceptibles de constituer une diffamation ou une injure publique le font généralement sous pseudonyme, pensant ainsi éviter toute mise en cause.
C’est un mauvais calcul : l’anonymat n’existe pas sur Internet. En effet, il est toujours possible d’identifier une personne via son adresse IP (Internet protocole), délivrée par l’ICANN (Internet Corporation for Assigned and Numbers). Même les techniques visant à dissimuler son adresse IP (comme l’usage d’un VPN) ne garantissent pas un anonymat à 100 %.
La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique fait obligation aux fournisseurs d’accès à Internet et aux prestataires techniques (hébergeurs de site Internet, moteurs de recherche, plateformes multimédia) de conserver les données permettant l’identification de quiconque a contribué à la création de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires.
En cas de poursuites pour diffamation ou injure, l’autorité judiciaire peut requérir la communication de ces données.
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Diffamation ou injure sur Internet : comment réagir ?
Plusieurs actions graduées sont possibles.
Demander le retrait des propos
Selon les cas, il peut s’agir d’une demande auprès :
- de l’auteur des propos, notamment quand il tient un blog ou un site Internet dont il est seul responsable ;
- du responsable du site ou du réseau social ;
- de l’hébergeur.
Faire un signalement à l'hébergeur dans un cadre judiciaire
En cas d’absence de réaction après la demande de retrait, ce signalement doit être effectué selon des modalités précises, par lettre recommandée avec accusé de réception, et moyennant la production de captures d’écran réalisées et authentifiées par un commissaire de justice.
Retrouvez plus d’informations sur cette démarche sur le site Service-Public.fr >
Faire un signalement à la police ou à la gendarmerie (PHAROS)
PHAROS est le portail officiel de signalement des contenus illicites sur Internet.
Ce signalement est effectué en ligne, via un formulaire.
Porter plainte
Les infractions de diffamation et d’injure publiques prévoient un mécanisme de responsabilité pénale dit "en cascade" : quand les propos ont été diffusés sur un média, c’est en premier lieu le directeur de la publication qui est considéré comme auteur principal de l’infraction. L’auteur des propos est, lui, considéré comme complice, sauf dans le cas d’un blog personnel amateur : dans ce cas, il est considéré comme l’auteur principal.
Quand l’identité de l’auteur des propos n’est pas connue, il est possible de porter plainte contre X.
À l’appui de la plainte, des témoignages, captures d’écran, enregistrements audio sont recevables. Seule condition : que les passages considérés comme potentiellement diffamatoires ou injurieux soient clairement indiqués.
À noter
Pour sa défense, l'auteur des propos peut :
- Apporter la preuve totale, parfaite et complète de la véracité de ses allégations. Attention : cette preuve n’est pas admissible quand les faits imputés concernent la vie privée du plaignant.
- Apporter la preuve de sa bonne foi, caractérisée par 4 critères cumulatifs : propos mesurés et prudents, absence de conflit d’ordre personnel avec le plaignant, but légitime de l’allégation, mauvaise interprétation de faits solides, et non de données fantaisistes.
Ces deux arguments de défense relèvent de l'appréciation souveraine du juge.
Introduire un référé
Cette procédure civile permet de demander rapidement au juge d’ordonner le retrait d’un contenu diffamatoire ou injurieux.
Dans cette hypothèse, l’auteur des propos ne sera pas sanctionné pénalement.
Il s’agit juste de supprimer toute visibilité des propos.
Diffamation et injure : quelles sanctions pénales ?
L’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 punit la diffamation et l’injure publiques commises envers les particuliers par une amende de 12 000 €.
Ces peines sont aggravées dans certaines situations :
- Un an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende en cas de diffamation publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
- Un an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende en cas de diffamation publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap.
Les tribunaux apprécient de manière très stricte les faits susceptibles de relever de ces infractions. Seules de graves atteintes à l’honneur ou à la réputation de la personne visée peuvent donner lieu à des poursuites. Cela s’explique par le fait que le respect de la liberté d’expression, liberté fondamentale, impose d’encadrer très strictement les infractions susceptibles d’entraver son exercice.
Diffamation et injure : combien de temps pour agir au pénal ?
En matière de diffamation et d’injure publiques, les délais de prescription sont très brefs : 3 mois à compter de la date de la 1re publication des propos. Dans le cas particulier de l’injure publique, ce délai est porté à un an quand les propos sont racistes, sexistes, homophobes ou portent atteinte aux personnes handicapées.
Même quand la plainte a bien été déposée dans ce délai, il faut que le Procureur de la République ouvre une enquête avant l’expiration des 3 mois. À défaut, les faits sont considérés comme prescrits.
Ces particularités font qu’il est très difficile d’engager des poursuites pénales et, surtout, de les voir aboutir à une condamnation.
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Mais le délai, s’il est bref, peut être interrompu par plusieurs actes réalisés par les autorités judiciaires (réquisitions du ministère public, PV d’enquête, instructions du Procureur de la République, etc.). Ces différentes hypothèses sont énumérées dans le Code de procédure pénale.
Vous êtes diffamé ou injurié publiquement ? Nos conseils
- Restez calme
Surenchérir sous le coup de la colère ou tenter de vous justifier en intervenant publiquement, sur un site ou un réseau social, peut être contre-productif. - Sachez faire la part des choses entre diffamation et critique
Il n’est bien sûr jamais agréable de faire l’objet d’une critique, par exemple sur la manière dont votre comportement lors d’une consultation a été perçu par un patient. Vous pouvez trouver ces remarques injustes mais elles ne caractérisent pas forcément une diffamation. A l’inverse, vous avez le droit de vous sentir agressé par des propos exprimés sans mesure et votre posture professionnelle ne doit pas vous empêcher de réagir. - Agissez de manière graduée mais rapide
Il peut être excessif de porter plainte d’emblée alors qu’une simple prise de contact avec l’auteur des propos peut suffire à désamorcer la situation, dans l’intérêt de tous. Mais à défaut d’une réaction rapide, il faut prendre une décision quant à une éventuelle plainte puisque les délais pour agir sont extrêmement brefs. Prenez conseil auprès de votre assureur Protection juridique ou échangez avec un gendarme via le tchat de la Gendarmerie Nationale pour prendre la décision la plus adaptée. La garantie e-réputation, si vous en possédez une, permet également de prendre des mesures pour "nettoyer" votre image numérique. - Réalisez des captures d’écran des passages où figurent les injures ou les propos diffamatoires pour en conserver une trace
Prenez soin de bien "screener" également les éléments de date si c’est possible. De façon générale, réunissez le maximum d’éléments pour apporter la preuve du caractère diffamatoire des propos. Il peut par exemple être utile de recueillir des témoignages.