Une contestation des recommandations de 2012 sur la prise en charge de l’autisme
En mars 2012, la HAS a publié une recommandation de bonne pratique intitulée "Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l'enfant et l'adolescent".
Parmi les interventions globales "non recommandées" figure une méthode dite des "3i", consistant à stimuler l’enfant autiste de manière individuelle, interactive et intensive, grâce à l'intervention de bénévoles au domicile. L’objectif est de développer la communication avec lui dans un cadre sécurisant.
Dans sa recommandation, la HAS a considéré que l'absence de données sur l’efficacité de cette méthode et son absence de fondement théorique ne permettaient pas de la recommander.
Néanmoins, elle a indiqué que cette position n’excluait pas que soient menés des travaux de recherche clinique pour évaluer l'efficacité et la sécurité de ce type d’intervention.
Une association qui promeut cette méthode, estimant cette appréciation non fondée, demande à la Présidente de la HAS de réexaminer la recommandation de bonne pratique et de la modifier, ce qu’elle refuse. L’association saisit le Conseil d’État d’un recours en excès de pouvoir contre ce refus.
Les recommandations constituent l’état de l’Art et doivent être actualisées
En préambule de son arrêt du 23 décembre 2020, le Conseil d’État précise la portée des recommandations de bonne pratique de la HAS : elles guident les professionnels de santé dans la mise en œuvre des stratégies de soins, en mettant à leur disposition les données acquises de la science et les connaissances médicales avérées à la date de leur édiction, y compris au niveau international, sur lesquelles doivent être fondés les soins qu'ils assurent aux patients.
Il rappelle cependant que les recommandations ne dispensent pas les professionnels d’entretenir et perfectionner leurs connaissances par d’autres moyens et de rechercher, pour chaque patient, la prise en charge la plus appropriée en fonction de leurs constatations et des préférences du patient.
La HAS doit donc veiller à l'actualisation de ses recommandations.
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Elle doit engager les travaux nécessaires à leur réexamen, pour tenir compte notamment des données nouvelles publiées dans la littérature scientifique et des évolutions intervenues dans les pratiques professionnelles.
Si une recommandation est obsolète ou manifestement erronée au regard des données de la science, ce peut être source d'erreurs pour les professionnels auxquels elle s'adresse. Dans ce cas, il appartient à la HAS de la modifier ou de l’abroger en tout ou partie.
Si une recommandation comporte, sur un point précis, une disposition manifestement erronée au regard des données de la science, il incombe alors à la HAS, alors même que l'engagement de travaux de refonte de l'ensemble de la recommandation ne serait pas justifié, d'en tirer les conséquences, à tout le moins en accompagnant sa publication d'un avertissement approprié.
Le Conseil d’État peut apprécier la légalité d’une recommandation de bonne pratique de la HAS
C’est un autre enseignement de l’arrêt du 23 décembre 2020 : pour se prononcer sur le recours pour excès de pouvoir dont il est saisi, le Conseil d’État doit juger si certaines dispositions des recommandations de bonne pratique de 2012 sont possiblement obsolètes et nécessitent un réexamen.
Le juge administratif dispose donc d’un pouvoir pour "apprécier la légalité de la recommandation litigieuse au regard des règles de droit et des circonstances de fait applicables à la date de la présente décision". Ce pouvoir est d’autant plus important qu’il lui permet de porter une appréciation sur la validité d’études scientifiques.
Se plaçant donc à la date de sa décision, le Conseil d’État relève que la méthode des "3i" a été considérée par la HAS comme "non recommandée" en raison de l'absence de données sur son efficacité, du caractère exclusif de son application et de l’absence de fondement théorique.
Mais la HAS a fait preuve de prudence et s’est gardée de tout rejet péremptoire, puisque, tenant compte du faible nombre d'études scientifiques sur les effets à long terme et de l'absence de données sur ce type d’interventions récentes, elle n’a pas écarté le recours à des travaux de recherche clinique permettant de juger de leur efficacité et de leur sécurité.
En l’espèce, l’association produit deux études selon lesquelles on constaterait une diminution des handicaps liés aux troubles du spectre autistique grâce aux "3i". Le Conseil d’État considère cependant que la validité scientifique de ces deux études n’est pas suffisante pour conférer un caractère manifestement erroné, au regard des données actuellement acquises de la science, à l’appréciation portée sur cette méthode dans les recommandations de 2012.
Le Conseil d’État rejette donc la requête, considérant que le refus par la Présidente de la HAS d’abroger la recommandation concernant la méthode "3i" n’était pas illégal.
Le Conseil d’État impose à la HAS un processus de veille et de réactualisation continue de ses recommandations
Si le Conseil d’État a rejeté le recours pour excès de pouvoir, il applique néanmoins les principes qu’il a rappelés en préambule sur la nécessité d’actualiser les recommandations pour se prémunir de toute obsolescence.
Il impose à la HAS de "déterminer un cadre et d'élaborer un référentiel méthodologique permettant d'assurer une évaluation indépendante des méthodes telles que celle des "3i " pour préparer les travaux nécessaires au réexamen de la recommandation de bonne pratique de mars 2012 à bref délai".
À l’appui de cette nécessité d’actualisation, le Conseil d’État invoque "l'évolution des connaissances et des pratiques dans la prise en charge de l'autisme depuis bientôt neuf ans et aux enjeux que comporte cette prise en charge pour les enfants et pour leur famille".
Une exigence contraignante pour la HAS
Elle devra donc réexaminer régulièrement ses recommandations, les abroger si nécessaire, et les assortir d’avertissements dans l’attente de la formalisation et l’adoption des modifications nécessaires.
Une exigence logique
Les recommandations sont considérées comme le reflet de l’état de l’Art et peuvent servir de support aux prises en charge des professionnels de santé, elles doivent être à jour.
À défaut, la HAS pourrait engager sa responsabilité en cas d’application par un soignant d’une recommandation obsolète.
En l’occurrence, la HAS a publié en mai 2022 une évaluation de la méthode "3i" qui confirme que son efficacité n’est pas établie à ce jour et qu’il n’est pas possible, en l’état des données scientifiques identifiées, de la considérer comme recommandée.
À retenir
- Les recommandations de bonne pratique de la HAS constituent "l’état de l’Art" pour les professionnels de santé soumis à une obligation déontologique en vertu des dispositions du Code de la santé publique qui leur sont applicables. Elles font partie des éléments pris en compte dans l’appréciation de leurs responsabilités en cas de mise en cause ou de litige.
- Il est donc indispensable que la HAS veille à leur actualisation régulière, en fonction des nouvelles données issues de la recherche ou de l’expérience, pour correspondre aux données de la science, à la date de leur publication évidemment, mais aussi ultérieurement, au cours du temps.
- Cette actualisation peut consister en une abrogation, une modification ou, a minima, un avertissement adéquat.
- Le juge administratif peut exercer un contrôle sur la légalité d’une recommandation, ce qui sous-entend qu’il peut se prononcer sur la validité d’une thèse scientifique.
- Il est logique que l’opportunité d’une actualisation et la prise en compte de l’évolution des données scientifiques et des pratiques soient plutôt du ressort de la HAS. C’est pourquoi le juge lui impose de mettre en place une procédure de veille et d’actualisation.
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