Une inversion dramatique de deux patientes
Une élève sage-femme en 1re année effectue un stage de soins infirmier de 3 semaines au sein d’un service de gynécologie viscérale.
Au 6e jour de son stage, elle ne peut assister aux transmissions entre les infirmières car elle est occupée avec un patient nécessitant la pose d'un pansement pour la réalisation d’une évaluation clinique.
Dans la matinée, le gynécologue visite la patiente de la chambre 1, Mme A., hospitalisée pour un curetage. Il prescrit deux comprimés de Cytotec® pour favoriser la dilatation du col de l'utérus.
Mme B. est, quant à elle, hospitalisée dans la chambre 2 pour un cerclage du fait d'une grossesse de 5 semaines. Cette grossesse est précieuse en raison de deux précédentes fausses couches.
Une infirmière demande alors à l’étudiante d'aller à la pharmacie chercher 2 comprimés de Cytotec® et lui précise que celui-ci est prescrit en vue d'un curetage.
Elle lui demande de les remettre à la patiente de la chambre 1 pour une prise par voie vaginale. Elle lui indique également qu'elle allait noter cette prise de médicaments dans le dossier médical de la patiente.
Malheureusement, l’élève entre dans la chambre 2, remet les comprimés à Mme B. en lui expliquant qu’ils vont favoriser la dilatation du col.
Dans les suites de cette prise, Mme B. perd le fœtus.
Le couple dépose une plainte pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de travail de plus de 3 mois.
Parallèlement, il forme une action devant le Tribunal de grande instance pour obtenir une indemnisation du préjudice subi.
Les arguments de défense de l'élève sage-femme
C'est ainsi que l’élève sage-femme se retrouve entendue par le juge d'instruction et mise en examen.
Pour sa défense, elle avance plusieurs arguments :
- Sa responsabilité pénale doit être étudiée au regard de son niveau de formation et de ses connaissances du médicament. Or, elle n'était qu'en première année de son cursus de sage-femme et son stage visait à découvrir et acquérir les gestes infirmiers. De plus, elle n'avait aucune connaissance du médicament en cause, le Cytotec®, qui ne devait être étudié qu'en 4e année de ce cursus.
- La responsabilité de l'établissement du fait d'un défaut d'organisation : le circuit du médicament n’a pas été respecté puisque la même personne doit effectuer la totalité du circuit, de la préparation à la traçabilité dans le dossier du patient. Or, en l'espèce, ces différentes étapes ont été réalisées par des personnes différentes.
- La prescription de Cytotec® en vue de la dilatation du col pour un curetage est une prescription hors AMM (autorisation de mise sur le marché), qui nécessitait un accompagnement d'autant plus rapproché.
- Ce médicament devait être administré par un médecin : à la date des faits, les sages femmes n'avaient pas le droit de réaliser les IVG (elles le peuvent depuis 1er janvier 2017), ce n'était donc a fortitori pas autorisé par une élève sage-femme.
Renvoi devant le Tribunal correctionnel de l'élève, de l'infirmière et de l'établissement
Le juge d'instruction, après avoir entendu les différentes parties et leurs avocats, renvoie l’élève sage-femme, l'infirmière et l’établissement de santé devant le tribunal correctionnel pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de travail supérieure à 3 mois (article L.222-19 du Code pénal).
L'élève sage-femme
Il considère que l’élève a commis une erreur d'administration du médicament et lui reproche de n'avoir pas respecté les règles élémentaires d'identitovigilance.
L'infirmière
Il reproche à l'infirmière diplômée de n'avoir pas respecté les guides de bonnes pratiques en matière d'administration du médicament :
- Délégation de l'administration du médicament alors que l'élève sage-femme ne connaissait pas la patiente et n'avait pas assisté aux transmissions.
- Mauvaise traçabilité : elle a noté l’administration du Cytotec® dans le dossier de la patiente qui devait le recevoir et non dans celui de celle qui l'a effectivement reçu.
L'établissement de soins
Enfin, il retient à l’encontre de l'établissement un défaut d'organisation pour deux raisons :
- Deux patientes, hospitalisées pour un curetage et pour un cerclage ayant été positionnées dans le même service.
- Mauvais encadrement par l'infirmière de la délégation à l'élève.
Une condamnation pénale de l'élève sage-femme
Le Tribunal correctionnel a retenu la responsabilité de l'élève sage-femme et de l'infirmière pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 3 mois.
- L’étudiante a été condamnée pour ne pas avoir vérifié l'identité de la patiente avant d’administrer le Cytotec®. La peine prononcée à son encontre a été de 3 000 € d'amende avec sursis.
- La même peine a été prononcée à l’encontre de l'infirmière.
- L’établissement a en revanche été relaxé.
Quels enseignements pour les différents intervenants ?
La patiente et son mari ont été indemnisés par le Tribunal de grande instance pour les préjudices qu'ils ont subis du fait de cette erreur. La responsabilité de l'établissement a été retenue du fait d'une faute de ses salariés.
L’élève sage-femme a continué ses études et est aujourd'hui diplômée.
L'établissement a modifié ses procédures internes :
- Le Cytotec®, aujourd’hui retiré du marché, a alors été administré par un médecin ou un interne en médecine.
- Un plan d'action a été mis en place, portant sur l'encadrement des stagiaires et sur le rappel des règles en matière de vérification de l'identité des patients.
- Le circuit du médicament n'est plus fractionné : une seule et même personne l'effectue en totalité.
- Les patientes venant pour un cerclage sont maintenant hospitalisées dans un service différent de celles venant pour une IVG ou un curetage.
Que retenir de cette malheureuse affaire ?
- La responsabilité pénale de toute personne peut être retenue. Le fait d'être élève n’exonère pas de sa responsabilité.
- Lors de l’administration d’un médicament, il faut toujours vérifier les éléments suivants : identité du patient, identification du médicament, posologie et date de péremption. Ces vérifications simples, qui peuvent être effectuées même lors des premiers stages, permettent ainsi d'éviter de nombreuses erreurs, telles qu'une erreur de patient comme en l'espèce, mais également une erreur de médicament ou une erreur grossière de posologie.
Cette minute de vérifications peut sauver des vies ! - Le circuit du médicament doit toujours être respecté et ses différentes étapes doivent être effectuées par une seule et même personne.
- À l’occasion des stages, il ne faut jamais hésiter à demander une confirmation au personnel soignant compétent. Oser demander peut encore sauver des vies.