Une erreur de côté sur la cheville à opérer...
Cette situation s’est déroulée dans le courant de l’année 2017…
Une jeune femme de 17 ans est victime d’un traumatisme de la cheville droite lors d’une activité sportive au lycée.
Cette jeune patiente consultera aux urgences où une entorse grave du ligament latéral externe (LLE) est diagnostiquée. Une immobilisation plâtrée sera proposée et réalisée : il s’agit d’une botte sans appui qui sera conservée 30 jours.
Dans les suites de cette immobilisation, des séances de rééducation proprioceptive de la cheville seront prescrites et effectuées, soit près d’une trentaine de séances.
Cette jeune malade sera amenée à consulter son médecin traitant dans les suites des séances de kinésithérapie devant une instabilité douloureuse sans notion de récidive de l’entorse. Le praticien prescrira une échographie qui retrouvera une probable rupture du LLE. Une Imagerie par Résonnance Magnétique (IRM) sera également réalisée et qui montrera une rupture des faisceaux antérieur et moyen du LLE sur son versant malléolaire externe, sans lésion cartilagineuse.
Compte tenu de l’échec des traitements orthopédiques, un avis à un confrère spécialisé sera demandé : le praticien consulté notera lors de l’interrogatoire que Mme F. a été victime à plusieurs reprises d’entorses de la cheville droite, avec à chaque fois un traumatisme en varus.
L’examen clinique retrouve des douleurs diffuses péri-malléolaires externes, sans douleur interne associée à une laxité en varus. Pas de douleur sur le reste du pied. Les mobilités sont reconnues normales.
Le praticien propose alors une ligamentoplastie anatomique sous arthroscopie associée à une cure de conflit antéro-externe. Ce traitement chirurgical est retenu par la jeune patiente et ses parents. L’information sur les risques et les suites opératoires attendues et potentiellement non attendues est donnée.
La consultation pré-anesthésique ne relèvera aucune contre-indication. Il sera proposé de réaliser cette intervention sous anesthésie générale, protocole accepté par l’intéressée, ainsi que le principe d’un parcours ambulatoire.
La jeune patiente est admise le jour J, elle est préparée pour l’intervention chirurgicale par l’équipe soignante, puis transférée au bloc opératoire.
L’intervention chirurgicale est réalisée sans difficulté, la malade est réveillée, et transférée en Salle de Surveillance Post-Interventionnelle (SSPI).
C’est à ce moment que la jeune femme signale en pleurs qu’elle a été opérée de la cheville gauche, du mauvais côté...
Le chirurgien et le MAR sont alors prévenus de l’erreur. La mère, qui a accompagné sa fille, est immédiatement prévenue… le chirurgien reconnaît les faits, explique que le geste n’a pas été interrompu en per-opératoire car la cheville gauche présentait des lésions compatibles avec le diagnostic posé.
La jeune femme sortira le soir même, comme prévu, avec une botte de marche pour 45 jours, un appui autorisé, des antalgiques et une anticoagulation préventive, prescrits pour une durée de 45 jours également.
Les consultations post-opératoires montreront une évolution favorable sur le plan local (cicatrices propres, mobilisation peu douloureuse…).
Une médiation sera organisée 3 mois plus tard…
Les suites montreront une hypoesthésie persistante de la face dorsale du pied… et la malade se plaint d’une instabilité de sa cheville lors des exercices de marche…
La jeune patiente bénéficiera d’une ligamentoplastie de la cheville droite réalisée par un autre praticien 2 mois plus tard, soit 5 mois après l’intervention précédente. Les suites seront simples avec une bonne évolution fonctionnelle.
C’est dans ce contexte que la patiente, à sa majorité, a saisi le juge des référés près le Tribunal Judiciaire d’une demande d’expertise.
Les éléments précisés lors de la médiation
La patiente et ses parents ont manifesté un vif mécontentement à l’annonce de cette erreur.
La Direction Générale a donc proposé une médiation pour faire le point de la situation avec eux.
Une délégation de l’établissement les a reçus : les médecins concernés par l’événement (chirurgien et anesthésiste), le médiateur médical (co-responsable de la sécurité des soins, expert en gestion de risques), le président et vice-président de la Commission des Usagers (CDU).
Après avoir pris des nouvelles sur l’état de santé de la patiente et présenté des excuses, le médiateur médical apporte quelques éléments de compréhension complémentaires retenus lors de l’analyse de l’événement indésirable grave :
- Une modification du programme opératoire : la patiente planifiée avant la victime de l’erreur n’est pas venue : elle devait être opérée de la cheville droite. Cette modification de programme n’était pas connue de tous les acteurs intervenant au bloc opératoire.
- La multiplicité des acteurs : les professionnels qui ont réalisé l’entretien pré-opératoire sont différents de ceux qui ont réalisé l’installation.
- La check-list de sécurité initiée avant l’entrée en salle d’intervention, mais interrompue une fois la patiente en salle d’opération pour non-disponibilité du chirurgien et de l’anesthésiste (appels téléphoniques) et donc sans partage collégial. Cette succession d’interruptions a conduit à l’erreur d’installation.
- Cette erreur de côté n’a pas été interrompue en cours d’intervention, car le chirurgien s’est trouvé en présence d’un ligament gauche abimé, ce qui ne l’a pas alerté.
Le médiateur explique que c’est la succession de ces éléments qui a abouti à cette regrettable erreur.
L'absence de réalisation du 2e temps de la check-list
Dans son rapport, l’expert a détaillé la prise en charge de la patiente, à partir des documents trouvés dans le dossier patient. Voici ses conclusions :
"Nous devons considérer que Mademoiselle X., âgée de 17 ans, a été victime d’un manque de précautions par absence de déclinaison orale et partagée du 2e temps, avant intervention chirurgicale ou time out de la check-list initiée par la HAS et informatisée dans l’établissement par les trois membres de l’équipe présents dans la salle d’opération : le Dr A., chirurgien orthopédiste, le Dr B., anesthésiste réanimateur et Madame C., coordinatrice de la check-list, infirmière ou IBODE.
De ce fait, aucun des trois membres de l’équipe n’a mis en cause les sièges erronés du garrot, du badigeonnage et du "champage".
La non-réalisation du 2e temps de la check-list a conduit à une faute partagée des trois membres de l’équipe : chirurgien orthopédiste, anesthésiste-réanimateur et coordinatrice de la check-list. Cette faute sur le plan de la responsabilité doit être assumée par parts égales par les trois membres de l’équipe, soit 33 % pour chacun d’entre eux.
Les conséquences de cette faute sont une intervention inutile au niveau de la cheville gauche ayant engendré comme seule séquelle fonctionnelle des troubles de la sensibilité du pied gauche à type d’hypoesthésie dorsale distale au regard des 3e et 4e métatarsiens et d’anesthésie de la face dorsale et des faces latérales des 3e et 4e orteils."
Au vu des conclusions de ce rapport, les parties ont décidé de se rapprocher, à savoir les assureurs respectifs des 3 responsables désignés :
- Le chirurgien orthopédiste,
- le médecin anesthésiste réanimateur,
- l’établissement de santé en qualité de commettant et employeur de l’infirmière de bloc opératoire, coordinatrice de la check-list.
Ils ont accepté dans un cadre transactionnel, d’être tenus in solidum des préjudices subis par la patiente et d’en assumer respectivement un tiers chacun.
Une approche rétrospective de gestion des risques
Dans la dynamique d’une démarche a posteriori de gestion des risques, il semble que plusieurs barrières de prévention n’ont pas été mises en œuvre.
- Il n’y a pas eu les contrôles attendus par les personnes en charge de l’installation du patient : contrôle d’identitovigilance, vérification du côté à opérer au motif que ces contrôles avaient déjà été faits par les collègues… Ce ne sont pas les professionnels de santé qui ont réalisé l’entretien pré-opératoire, qui ont procédé à l’installation chirurgicale. Ces contrôles doivent être réalisés par tous les professionnels, sans exception, même si ceux-ci sont considérés comme redondants.
- Transmission partielle de l’information (à une partie de l’équipe seulement) sur la permutation des patients par rapport au programme prévisionnel... le chirurgien a pensé que l’information circulerait spontanément entre les membres de l’équipe… il a été interrompu dans ce partage d’informations par un appel téléphonique… Une réflexion, et surtout des actions de prévention doivent être mises en œuvre pour lutter contre les interruptions de tâches (IT). La réflexion peut être orientée par l’identification de certains actes de soins qui doivent être « sanctuarisés » pour lesquels aucune IT ne doit être tolérée. Cette prise de conscience collégiale doit faire partie de la culture de sécurité.
- Pas de marquage du membre opéré en amont de l’intervention au niveau du secteur ambulatoire car il n’y avait pas de préparation cutanée spécifique à réaliser, ou au moment de l’entretien pré-opératoire. Cette pratique est pourtant rencontrée et retenue par de nombreuses équipes.
- Absence de vérification terminale de cet item avant l’incision (temps 2 de la check list) comme le veulent les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé, car le MAR était occupé au téléphone. C’est le non-respect de ce point qui a été déterminant dans la recherche de responsabilités. Le respect des 3 « time out » de la check-list de sécurité du patient au Bloc Opératoire a maintenant fait ses preuves. Aucun mode dégradé ne doit être toléré.
Il est très vraisemblable que cet événement indésirable aurait été évité si toutes ces précautions avaient été prises.
Dans cette approche systémique, il s’avère ici que tous les acteurs, qui ont participé de près ou de loin à cette prise en charge, n’ont pas détecté cette erreur de côté.
L’approche facteur humain parle d’effet tunnel :
Il arrive, qu’en étant tellement centré sur sa tâche, l’environnement nous échappe totalement. C’est un phénomène d’attention sélective, qui focalise l’attention d’une ou plusieurs personnes sur un détail, excluant toutes les autres informations. Ces situations sont souvent favorisées par le stress. |
Il est probable, dans ce cas présent, que chaque acteur était polarisé sur le retard pris dans le programme opératoire (arrivée retardée du patient remplacé par le suivant dans la planification). Aucun des acteurs n’a été capable de faire ou de demander un point de situation dans cette prise en charge.
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Ces éléments sont importants à prendre en compte, et les 3 "temps de vérification" ou "time out" de la check-list sécurité au bloc opératoire doivent permettre de contrôler les points d’attention prévus par cette procédure pour éviter des incidents irrémédiables.