Une alerte sur le comportement suspect d’une mère sur sa fille
Un médecin spécialiste, exerçant dans un centre médico-psychologique pour enfants et adolescents (CMPEA), adresse un courrier de signalement à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP). Il alerte sur le comportement d’une mère vis-à-vis de sa fille alors âgée de neuf ans, prise en charge par le CMPEA.
Ce signalement fait suite à une première information préoccupante adressée à la CRIP quelques mois auparavant.
La mère de l’enfant porte alors plainte contre le praticien devant la chambre disciplinaire de première instance de l'Ordre des médecins en raison de ce signalement.
Le Conseil départemental de l'Ordre des médecins ne s’y associe pas mais transmet néanmoins la plainte à la chambre disciplinaire de première instance de l'Ordre. La plainte est rejetée. Ce rejet est confirmé par la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins.
La plaignante engage alors un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.
Que dit la loi sur le signalement de maltraitances sur mineur ?
Les cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP)
La loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a confié au président du Conseil départemental la charge du recueil et du traitement de l’ensemble des informations préoccupantes concernant des mineurs. Elle opère une distinction entre transmission d’information préoccupante et signalement au procureur de la République et/ou à la CRIP.
Ce sont les cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP), placées sous l’autorité du président du Conseil départemental, qui centralisent le recueil de ces informations.
Les représentants légaux du mineur (parents, personne exerçant l’autorité parentale, tuteur) doivent être informés de cette transmission, sauf si cela est contraire à l'intérêt du mineur.
Ainsi le médecin alertera le médecin de la CRIP s’il estime au vu de ses constatations :
- que la santé, la sécurité ou la moralité du mineur soient considérées être en danger ou en risque de danger ;
- que les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social soient considérées être gravement compromises ou en risque de l'être.
Quelle est la finalité du signalement opéré auprès de la CRIP ?
Cette transmission a pour finalité d'évaluer la situation d'un mineur et de déterminer les actions de protection et d'aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier conformément aux dispositions de l’article R.226-2-2 du code de l’action sociale et des familles (action médico-sociale, mesure de protection de l’enfant).
La CRIP est également compétente pour signaler les faits au procureur de la République.
Signalement et secret professionnel
Lorsque le médecin constate sur un mineur des sévices ou privations, sur le plan physique ou psychique, et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises, il procède à un signalement au procureur de la République ou à la CRIP, voire aux deux (article 226-14 code pénal, modifié par la loi n° 2015-1402 du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé).
L'article 226-13 du code pénal prévoit un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende en cas de révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession. L'article 226-14 du même code en précise les limites en rappelant qu’il n’est pas applicable :
- Dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret.
- Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. L’accord de la victime est requis, sauf lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire ; (...).
L’article 226-14 précise par ailleurs que tout signalement aux autorités compétentes effectué dans ces conditions ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi.
Un signalement justifié et de bonne foi
La chambre disciplinaire nationale a relevé, en se livrant à une appréciation souveraine des pièces du dossier, que le signalement adressé par le praticien à la CRIP sur le fondement de l'article 226-14 du code pénal procédait des constatations qu'il avait effectuées en recevant en consultation sa jeune patiente et sa mère. Il a agi de bonne foi afin de protéger l'enfant.
Le Conseil d’Etat approuve la chambre disciplinaire nationale d’avoir considéré que la responsabilité disciplinaire du praticien n'était pas susceptible d'être engagée à raison de ce signalement.
Le Conseil d'Etat rappelle...
"Lorsqu'un médecin signale au procureur de la République ou à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes des faits laissant présumer qu'un mineur a subi des violences physiques, sexuelles ou psychiques et porte à cet effet à sa connaissance tous les éléments qu'il a relevés dans la prise en charge de son patient, notamment des constatations médicales, des propos ou le comportement de l'enfant et, le cas échéant, le discours de ses représentants légaux ou de la personne accompagnant l'enfant soumis à son examen médical, sa responsabilité disciplinaire ne peut être engagée à raison d'un tel signalement, s'il a été effectué dans ces conditions, sauf à ce qu'il soit établi que le médecin a agi de mauvaise foi".