Une réimplantation de doigts prévue... mais non réalisée
Un homme se sectionne accidentellement les extrémités de la dernière phalange des 3e et 4e doigts de la main gauche alors qu’il utilisait sa tondeuse à gazon. Il récupère les bouts de doigts, les conserve refroidis, hors contact de la glace, et se rend à l’hôpital, qui le transfère aux urgences d’un autre établissement.
Une intervention visant à réimplanter les bouts de doigt commence, mais le chirurgien y renonce en cours d’intervention et procède juste à la suture des plaies.
Le patient découvre à son réveil l’absence de réimplantation et assigne le chirurgien. En première instance, le tribunal déboute le patient de ses demandes tendant à voir reconnaître une faute technique, mais alloue une indemnité de 3 000 € au titre d’un préjudice d’impréparation à l’absence de réimplantation des doigts.
Le patient interjette appel. La cour d’appel confirme en tous points la décision de première instance.
Pas de faute technique mais un défaut d'information au patient
La cour d’appel, dans un arrêt du 23 mars 2021, confirme que les soins réalisés ont été conformes aux données de la science. Il était licite pour le chirurgien de renoncer à la réimplantation des doigts : en effet, le pourcentage d’échec de ce type de chirurgie est plus important lors de traumatismes avec attrition des tissus mous et sur des patients âgés de plus de 50 ans, ce qui était le cas en l’espèce. Cette analyse bénéfice/risque aurait été faite de la même manière par de nombreux centres chirurgicaux de la main.
Il n’y a pas non plus de perte de chance puisque, vu les risques importants d’échec (de l’ordre de 50 à 60 %), les conséquences auraient été plus défavorables pour le patient que les conséquences découlant de l’absence de réimplantation puisque les moignons sont globalement satisfaisants.
En revanche, il existe bien un défaut d’information. Chirurgien et anesthésiste affirment tous deux avoir informé oralement le patient du fait que la réimplantation pourrait s’avérer difficile, voire irréalisable. Mais le patient conteste la réalité de cette information. Il revient au chirurgien d’apporter la preuve, par tous moyens, de l’information délivrée mais compte tenu des contestations formelles du patient sur ce point, elle n’est pas rapportée.
Un défaut d'information à l'origine d'un préjudice d'impréparation
Le manquement du chirurgien à son devoir d’information, imposé par l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique, a entraîné un préjudice consistant en une impréparation au constat de l’absence de réimplantation des doigts au réveil de l’anesthésie. Ce préjudice doit être réparé par une somme de 3 000 €.
La jurisprudence est constante de très longue date sur le fait qu’un défaut d’information peut donner lieu à l’indemnisation d’une perte de chance : s’il avait été correctement informé, le patient aurait pu renoncer à l’intervention, ou opter pour une autre technique par exemple, et ainsi échapper, avec une probabilité variable selon les cas, au préjudice qui s’est réalisé.
Depuis plusieurs années, elle reconnaît aussi de plus en plus l’existence d’un préjudice moral d’impréparation, que subit le patient qui n’a pas été prévenu en amont d’un risque ou d’une complication, et qui s’y trouve soudainement confronté sans avoir eu le loisir de s’y préparer.
Certaines décisions vont même plus loin et admettent le cumul des deux préjudices : perte de chance et préjudice d’impréparation.
À retenir
Cette affaire est l’occasion de rappeler à quel point une information correcte du patient, et une traçabilité efficace sont importantes.