La réalisation d’une prothèse dentaire : un acte complexe
La réalisation d’une prothèse dentaire est schématiquement constituée de trois phases successives :
- la conception, en fonction de la morphologie buccale du patient. Elle suppose à la fois une démarche intellectuelle et la réalisation d’actes tels que la prise d’empreintes, de clichés radiologiques, etc. ;
- la réalisation technique de la pièce prothétique en laboratoire, le plus souvent par un laboratoire de prothèse dentaire, inscrit au registre des métiers ;
- la pose dans la bouche du patient, qui suppose, là encore, de réaliser certains actes d’adaptation.
En dehors du cas, relativement rare, d’un praticien qui posséderait son propre laboratoire de prothèses, les deux phases qui concernent le chirurgien-dentiste – la conception et la pose – sont constituées d’actes "intellectuels" et techniques relevant de l’Art dentaire et ne confèrent pas la qualité de "fabricant" au praticien. Celui-ci ne peut être tenu que d’une obligation de moyens.
En revanche, le laboratoire de prothèse est, lui, tenu d’une obligation de résultat puisqu’en tant qu’artisan, il doit livrer une pièce prothétique répondant aux caractéristiques du bon de commande du praticien.
Cette complexité de l’acte prothétique, mal appréhendée par les juges, les a parfois conduits à retenir une obligation de résultat à la charge du praticien, considéré à tort comme le "fournisseur" de la prothèse.
Jusqu’en 2011 : le chirurgien-dentiste est considéré comme le fournisseur de la prothèse dentaire
Pendant longtemps, la jurisprudence, tout en distinguant bien l’obligation de moyens liée à l’acte thérapeutique et l’obligation de résultat concernant la pièce prothétique, a considéré que le chirurgien-dentiste est un "fournisseur" de la prothèse, au même titre que le laboratoire de prothèse qui a fabriqué la pièce prothétique.
La motivation retenue, émanant d’un arrêt de la Cour de cassation du 29 octobre 1985, était toujours la même : si le chirurgien-dentiste est bien tenu à une obligation de moyens quant aux soins proprement dits liés à la conception et à la pose, "en tant que fournisseur de la prothèse, il devait délivrer… un appareil sans défaut, et doit dès lors réparer le préjudice dû à la défectuosité de celui qu’il a posé dès lors qu’il n’est pas établi que le patient ait fait un usage anormal du bridge ou qu’il ait été endommagé par une cause extérieure".
Il appartenait donc au praticien, considéré comme responsable de plein droit, d’apporter la preuve de l’intervention d’une cause extérieure, du fait d’un tiers ou d’un événement de force majeure pour s’exonérer.
Un arrêt de la Cour de cassation du 15 novembre 1988 est encore plus sévère, affirmant que le chirurgien-dentiste "est tenu à une obligation de résultat comme fournisseur d’une prothèse et qu’il doit délivrer une prothèse sans défaut".
Néanmoins, les juridictions civiles considéraient que le chirurgien-dentiste, en l'absence de faute de sa part, ne pouvait être considéré comme responsable du fait du produit défectueux que lorsque le fabricant n’était pas identifié. Aussi, si le chirurgien-dentiste était condamné sur le fondement d’une responsabilité sans faute parce que le producteur n’était pas dans la cause, il pouvait ensuite se retourner contre lui pour obtenir le remboursement des indemnités versées.
À partir de 2011 : retour à l’obligation de moyens
Le point de départ de la clarification jurisprudentielle est un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 21 décembre 2011 qui indique que la responsabilité susceptible d'incomber à un utilisateur (le professionnel ou l’établissement de santé) qui fait usage, dans le cadre d'une prestation de soins prodiguée à un patient, d'un produit ou d'un appareil préalablement acquis, ne relève pas du champ d'application de la directive européenne sur les produits défectueux. L'utilisateur ne peut être considéré comme fournisseur de ce produit.
Puis un arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2012 a affirmé, dans une affaire qui ne concernait pas spécifiquement l’art dentaire, que les prestataires de services de soins ne peuvent être assimilés à des distributeurs de produits ou dispositifs médicaux, leurs prestations visant essentiellement à faire bénéficier les patients des traitements et techniques les plus appropriés à l'amélioration de leur état. Dès lors, ces prestataires ne relèvent pas, sauf s’ils sont eux-mêmes les producteurs, du champ d'application de la directive. Leur responsabilité ne peut être recherchée que pour faute lorsqu'ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l'exercice de leur art ou à l'accomplissement d'un acte médical.
Enfin, en matière dentaire, un arrêt de la Cour de cassation du 20 mars 2013, largement publié, notamment sur le site Internet de la Cour de cassation, a consacré sans réserve l'obligation de moyens du professionnel de santé dans le cadre de son acte de soins qui "comprenait la délivrance d'un appareillage", alors même que le demandeur invoquait une obligation de résultat concernant une prothèse dentaire qui aurait dû, selon lui, "être apte à rendre le service qu'il peut légitimement en attendre".
En dépit de cette mise au point, pourtant sans ambiguïté, certaines juridictions du fond continuent, de façon sporadique, à retenir une obligation de résultat à la charge du chirurgien-dentiste pour la conception et la pose de la prothèse.
C’est pourquoi il est important de bien connaître toute cette évolution jurisprudentielle pour une défense efficace de nos sociétaires.
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