Toujours la même définition et un diagnostic d'élimination
Dès janvier 2021, le Lancet1 publiait les résultats d’une enquête de suivi menée auprès de 1 733 patients atteints de la Covid. Chez 76 % de ces patients, hospitalisés à Wuhan entre début janvier et fin mai 2020, elle soulignait la persistance d’au moins un symptôme au-delà de 6 mois.
Les symptômes les plus fréquemment observés étaient, par ordre décroissant :
- l’asthénie ou les douleurs musculaires (63 % des cas),
- les troubles du sommeil (26 % des cas),
- une anxiété ou une dépression (23 % des cas).
Du fait du caractère relativement peu spécifique de ces symptômes, leur imputabilité à l’infection Covid-19 a divisé la communauté scientifique.
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En France, certains professionnels de santé se sont trouvés désarmés face à des patients présentant des symptômes non spécifiques et polymorphes, de gravité variable et fluctuants dans le temps.
Une définition de ces Covid longs a donc été proposée par la HAS2 le 12 février 2021
Trois critères permettent ainsi d’identifier les malades souffrant de symptômes prolongés de la Covid-19 :
- le fait d’avoir présenté une forme symptomatique de Covid-19 ;
- la persistance d’un ou plusieurs des symptômes inauguraux un mois après le début du traitement ;
- le fait qu’aucun des symptômes ne puisse être expliqué par un autre diagnostic.
Aujourd’hui, cette définition n’a pas changé et doit suffire à retenir une imputabilité de certains tableaux inexpliqués et durables à l’infection Covid 19.
L’OMS3 donne une définition un peu différente des états post-Covid19
- persistance de symptômes au-delà de 3 mois (et non de 1 mois) ;
- symptômes qui durent plus de 2 mois ;
- symptômes qui ne peuvent être expliqués par aucune autre pathologie et qui entraînent un retentissement important dans la vie quotidienne des malades affectés.
Par ailleurs, plus de 200 symptômes ont été répertoriés comme pouvant être rattachés à un état post-Covid-19, dont notamment :
- fatigue intense,
- essoufflement ou difficultés respiratoires,
- problèmes de mémoire, de concentration ou de sommeil,
- toux persistante,
- douleurs thoraciques,
- difficultés d’élocution,
- douleurs musculaires,
- perte de l’odorat ou du goût,
- dépression ou anxiété,
- fièvre...
Une amélioration de la prise en charge jugée encore insuffisante
Dès février 2021, la HAS a insisté dans un communiqué auprès des praticiens sur la nécessité d’une prise en charge multidisciplinaire rééducative la plus précoce possible des patients atteints de Covid long.
Cette prise en charge doit s’envisager tant sur le plan physique que psychologique, les praticiens étant invités à faire aussi preuve d’écoute et d’empathie.
Pour les aider, la HAS a mis à leur disposition des fiches pratiques, élaborées pour les symptômes les plus fréquents (fatigue, douleurs, dyspnée, dépression) et régulièrement mises à jour. Aujourd’hui, 15 fiches sont disponibles pour aider les praticiens à :
- affirmer leur diagnostic,
- optimiser la prise en charge de leurs patients,
- déterminer quand le recours à un spécialiste s’avère nécessaire.
Il leur est également rappelé la possibilité de diriger les patients les plus "complexes" vers l’une des 130 cellules de coordination post-Covid créées par les douze ARS4.
Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que dans un avis récent, rendu en novembre 2023, le COVARS7(Comité de Veille et d’Anticipation des Risques Sanitaires) a alerté le gouvernement quant à la nécessité d’améliorer encore l’approche des Covid longs.
"Dans une troisième partie, cet avis dresse un état des lieux de l’offre de soins, plus de 3 ans après l’apparition des premiers cas de SPC, en confrontant la réponse institutionnelle de la France, structurée en trois niveaux (Partie III.A) avec la réalité du terrain, qui se caractérise par un manque de lisibilité de l’offre, une grande hétérogénéité géographique, un niveau de connaissances des professionnels de santé souvent insuffisant, et une tendance à la psychiatrisation des symptômes, dans un contexte général de pénurie médicale".
Un enjeu de santé publique toujours majeur
Les chiffres parlent d’eux-mêmes
Aujourd’hui, on estime que 2 millions de personnes en France souffrent d’un Covid long.
Une étude menée par Santé Publique France5 fin 2022 a ainsi notamment montré que :
- la prévalence des affections post-Covid était de 4 % de la population adulte en France ;
- la prévalence était plus élevée chez les femmes (10,2 %), chez les personnes en recherche d’emploi (14,9 %) et chez les sujets ayant été hospitalisés pour Covid-19 (18,6 %) ;
- 1,2 % des personnes interrogées déclarent un impact fort ou très fort sur leurs activités quotidiennes ;
- 21,3 % des personnes rapportant une affection post-Covid-19 ont été infectées à l’occasion de la vague du variant Delta et 53,2 % lors des vagues de variants Omicron ;
- enfin, un tiers des patients atteints évoqueraient un impact fort ou très fort de leur affection dans leurs activités quotidiennes.
L'impact financier
L'impact financier de cette nouvelle affection chronique qu’est le Covid long n’est également pas négligeable en termes :
- de dépenses de santé nécessaires pour affirmer le diagnostic, explorer et prendre en charge ces malades ;
- d’assurance chômage, d’aides sociales pour nombre d’entre eux qui ne pourront reprendre leur métier de sitôt.
D’autant qu’il a pu être rappelé7 aussi une sous-évaluation très probable des cas de Covid long dans certaines populations, notamment :
- chez les enfants et les adolescents ;
- chez les personnes présentant des comorbidités ou des affections chroniques sur le compte desquelles, par défaut de diagnostic, sont imputés certains symptômes.
En France, l’impact financier ne semble pas chiffrable ou avoir été chiffré. Nous ne connaissons pas le nombre d’arrêts maladie de longue durée qui auraient été délivrés pour des Covid longs, qui pour l’instant ne figurent pas dans la liste des affections de longue durée reconnues.
Une idée du coût potentiel nous est donnée dans l’avis de novembre 2023 rendu par le COVARS. Il rapporte "qu'aux États-Unis, le coût est estimé à 3 700 milliards de dollars sur 5 ans, en tenant compte de la perte de qualité de vie sur 5 ans (2 195), la perte de revenu (997) et la hausse des frais de santé (528), ce qui représente 1 % du PIB".
Important à savoir :
La HAS a publié le 11 avril 2024 un guide qui préconise une prise en charge pluridisciplinaire et graduée, autour du médecin généraliste.
Un mécanisme physiopathologique encore mystérieux
À ce jour, 4 ans après la découverte du virus, les mécanismes à l’origine du développement d’un Covid long chez certains patients et pas chez d’autres demeurent mal compris, si ce n‘est inconnus, tant les profils des malades sont variés et les facteurs de risques différents.
Certains patients développent un Covid long sans avoir initialement présenté une forme sévère, d’autres ayant même été asymptomatiques.
Certains voient persister un ou plusieurs symptômes après avoir surmonté la phase aigüe, alors que d’autres, qui s’étaient et étaient considérés comme guéris, vont constater, après un long intervalle libre, la réapparition de leurs symptômes.
Certains présentaient des comorbidités ou facteurs de risques, d’autres non…
Il semblerait désormais admis que le Covid long soit lié à des perturbations du système immunitaire. Ces perturbations entraînent un état inflammatoire chronique pouvant atteindre tous les organes et expliquer la multiplicité des symptômes observés.
Ont aussi été évoqués :
- la persistance du virus à l’état quiescent dans les cellules du tissu intestinal,
- une possible auto-immunité,
- la réactivation d’autres virus à l’occasion de l’infection par le SARS-Cov62,
- un déséquilibre du microbiote intestinal...
Une étude récente parue en 2024 dans Science9 a mis en évidence une augmentation significative de certaines protéines sériques chez les patients atteints de Covid long étudiés.
Cela témoigne d’une activation de la cascade du complément entraînant une altération de la coagulation et des lésions tissulaires, ainsi qu’une augmentation de la thrombo-inflammation.
La perspective de biomarqueurs permettant d’affirmer le diagnostic de Covid long, sans avoir à procéder par élimination, serait déjà un atout précieux pour les praticiens… comme pour les malades !