La HAS a souhaité attirer l’attention des médecins sur quelques cas de retards ou d’erreurs de diagnostic à la suite de téléconsultations.
Sa fiche Flash du 1er décembre 2022 dispense quelques conseils pour se prémunir contre ces défauts ou retards de diagnostic qui, comme elle le rappelle, peuvent arriver à tous.
Une question apparue suite à un cas dramatique au cours du premier confinement
Lors du premier confinement, en avril 2020, un homme de 40 ans, obèse et atteint d’un cancer, recourt à la téléconsultation en raison d’une grande fatigue depuis plusieurs jours, d’une importante sensation de soif et d’une langue blanche. Le praticien qui le prend en charge à distance diagnostique une mycose linguale et prescrit un traitement antifongique.
Une semaine plus tard, alors que son état ne s’est pas amélioré, le patient est victime d’un malaise. Il est constaté des défaillances hémodynamiques et cardiaque, rénale, neurologique et respiratoire ainsi qu'une acidose métabolique.
Le patient décède le lendemain, et sa famille porte plainte contre X pour homicide involontaire.
La consultation à distance a-t-elle favorisé le défaut de diagnostic de la décompensation diabétique ? L’interrogatoire a-t-il été incomplet ? Le praticien s’est-il focalisé sur la recherche de symptômes évocateurs de la Covid, qui était à un très haut niveau d’incidence à l’époque des faits ?
L’instruction permettra sans doute de répondre à ces questions. Pour l’heure, rien ne permet d’imputer la survenue de ce drame - heureusement isolé - à la téléconsultation elle-même : ce type d’erreur de diagnostic peut aussi se produire dans un cadre classique, notamment en période épidémique.
Mais la question des risques particuliers induits par ce mode de prise en charge mérite néanmoins d’être posée pour les anticiper, surtout si la pratique se poursuit sur la lancée amorcée pendant la crise sanitaire.
Un premier écueil : des patients parfois "inconnus" du praticien
Depuis 2018, la téléconsultation est remboursée par les organismes sociaux dans les mêmes conditions qu’une consultation classique.
Le remboursement reste conditionné au respect du parcours de soins, et donc à une connaissance du patient par le praticien et à une consultation physique dans les douze mois précédents.
Cette règle limite les hypothèses des téléconsultations où médecin et patient se rencontrent pour la première fois.
Mais cela peut se produire pour les consultations "Covid" pour lesquelles le patient a la possibilité de consulter un médecin disponible, autre que son médecin traitant, et être remboursé dans les mêmes conditions, dès lors qu’une téléconsultation auprès du médecin traitant n’était pas possible.
Le recours à la téléconsultation peut également se produire en cas d’indisponibilité du médecin traitant ou lorsque le patient n’est pas à son domicile, comme pour une consultation classique. Dans ce cas, patient et praticien ne se connaissent pas.
Cette situation peut générer des risques divers :
- Tout d’abord, le praticien ne connaît pas les antécédents du patient aussi bien que s’il était son médecin traitant, disposant d’un dossier médical renseigné au fil des consultations. Il est tributaire de ce que va lui révéler le patient lui-même. Or, en toute bonne foi, ce dernier peut omettre certains éléments importants, ou en minimiser certains.
- Ensuite, l’absence d’examen clinique, source de recueil de données objectives, n’est pas compensée par une connaissance du patient par le praticien. Un médecin de famille qui sait que son patient est plutôt "dur au mal" sera davantage alerté en cas de plaintes concernant, par exemple, des douleurs.
Quelles précautions prendre ?
- Ne jamais oublier qu’une téléconsultation reste une consultation, au cours de laquelle l’interrogatoire doit être mené dans les conditions habituelles, même si le patient n’est pas connu. Le fait qu’il s’agisse peut-être d’une consultation qui restera isolée ne dispense pas le praticien de son obligation de moyens. S’il ne la respecte pas, sa responsabilité pourra se trouver engagée.
- Il peut être utile de rédiger un compte-rendu de la téléconsultation à transmettre au médecin traitant du patient. Il pourra ainsi, s’il le juge utile en fonction de sa connaissance du patient et de ses antécédents complets, le contacter pour éventuellement poursuivre les investigations ou pour une visite de contrôle.
- Si le praticien a le moindre doute au cours de la téléconsultation, il ne doit pas hésiter à l’interrompre pour recommander plutôt au patient de consulter "en présentiel".
Un deuxième écueil : la distance qui exclut un examen clinique
Même si la téléconsultation concerne un patient que l’on connaît bien, il peut exister un risque particulier du fait de la distance.
L’examen clinique reste une composante cruciale d’une consultation, dont le praticien est "privé" en cas de téléconsultation.
De surcroît, le patient peut adopter une attitude différente de celle qui est habituellement la sienne, car gêné par l’usage de la vidéo, qu’il peut juger intrusive, ou accaparé par d’éventuels problèmes techniques ou par les personnes également présentes à son domicile.
Il ne sera donc pas toujours possible de compter sur un échange de qualité avec le patient pour pallier l’absence d’examen physique.
Quelles précautions prendre ?
- Il est conseillé de ne recourir à la téléconsultation qu’avec des patients dont on sait qu’ils seront capables de gérer la connexion à distance et d’éventuels soucis d’ordre technique.
- De même, si les conditions techniques de la téléconsultation laissent à désirer (son déficient ou "haché", image de trop mauvaise qualité, connexion instable), il faut l’interrompre et inciter le patient à venir consulter. Le risque est alors trop grand de mal comprendre les doléances du patient et de ne pas remarquer des signes qui peuvent être importants pour l’élaboration du diagnostic.
- S’il existe un doute qui ne peut être levé que par un examen clinique, le médecin ne doit pas hésiter à inviter son patient à consulter de manière habituelle, ou l’orienter vers les professionnels ad hoc.
- L’absence d’examen clinique (et la session de déshabillage/rhabillage qui l’accompagne souvent) ne doivent pas être vues comme un "gain de temps" sur une consultation classique, qui permettrait de prévoir des créneaux plus courts. Au contraire, il est conseillé de prévoir un temps plus important pour intégrer l’éventuel temps de résolution de problèmes techniques ou bugs informatiques et favoriser les échanges avec le patient.
- Même quand le médecin n’a pas détecté de problème particulier lors de la téléconsultation, il peut être de bonne pratique de toujours recommander de consulter en cas de persistance ou d’aggravation des symptômes.
Le risque est-il vraiment accru ?
L’avenir dira si, avec la multiplication des téléconsultations, le risque médicolégal se trouve accru, même en l’absence d’examen clinique. Mais en l’état actuel, cette pratique ne semble pas notablement plus risquée.
En effet, les conseils que nous avons dispensés, pour la grande majorité d’entre eux, s’appliquent à n’importe quelle consultation.
Prendre le temps d’écouter son patient, être attentif à ses doléances, à ses symptômes, à ses antécédents, mener un interrogatoire complet, tout cela doit faire partie de la démarche du médecin, en toutes hypothèses.
La prudence doit donc toujours prévaloir : au moindre doute, le patient doit être invité à se déplacer.
Mais cela n’est pas spécifique à la téléconsultation puisque cette même précaution vaut déjà pour les conseils médicaux donnés par téléphone à des patients, qui ont toujours existé.
Les erreurs de diagnostic dues à un interrogatoire bâclé ou à des signes négligés ne sont pas le propre des téléconsultations et ont fondé bien des mises en cause de médecins, avant même l’avènement de la télémédecine !
Sans doute la clé réside-t-elle plutôt dans ce qu’on pourrait appeler "la bonne indication" de la téléconsultation : elle pourrait devenir un risque "émergent" si elle était utilisée de façon trop large, dans toutes les situations, comme une sorte d’alternative systématique à la consultation.
A retenir
La téléconsultation n’a pas pour finalité de remplacer, à terme, la consultation en cabinet.
Elle s’inscrit en complément, dans des contextes particuliers : désert médical, handicap qui rend les déplacements difficiles, consultations de "surveillance" (par exemple, pour ajuster un traitement déjà initié, discuter de résultats d’analyses, dispenser un conseil, etc.).
Utilisée avec pertinence, cette nouvelle pratique devrait présenter plus d’avantages que d’inconvénients !