Une prescription contre-indiquée par le chirurgien-dentiste
Un patient d’une vingtaine d’années, atteint de rectocolite hémorragique (RCH), sous traitement associant une corticothérapie et un immunosuppresseur, doit subir l’ablation des quatre dents de sagesse par un chirurgien-dentiste, sous anesthésie générale.
Au cours de la consultation précédant l’intervention, il remet au chirurgien-dentiste le questionnaire médical signé, ne faisant état d’aucun antécédent particulier. Comme l’expertise le révélera, c’est en fait la mère du patient qui a complété le document, le jeune homme se contentant de le signer.
Le praticien prescrit un antibiotique, du paracétamol et un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) à prendre à partir de la veille de l’intervention.
De son côté, lors de la consultation préanesthésique, l’anesthésiste note bien l’existence d’une RCH et le traitement correspondant est mentionné dans les traitements en cours.
L’intervention se déroule bien et le patient prend le traitement médicamenteux prescrit pendant quatre jours.
Rapidement, il présente des rectorragies, des douleurs abdominales et de la fièvre. Il est hospitalisé en gastro-entérologie, où il est diagnostiqué une poussée sévère de RCH avec muqueuse ulcérée congestive jusqu'au côlon traverse, secondaire à la prise d'AINS.
Le patient assigne le chirurgien-dentiste, estimant qu’il a commis une faute médicale en lui prescrivant un traitement inapproprié en raison de sa maladie inflammatoire. Le tribunal se prononce sur les responsabilités, par un jugement du 25 mars 2019.
Une pathologie non signalée dans le questionnaire médical
A l’issue de la procédure, il est établi que :
- Le chirurgien-dentiste n’a jamais été informé d'une pathologie inflammatoire du tube digestif. Le questionnaire médical signé qui lui a été remis n’y fait pas référence. Si la prise d’un traitement médicamenteux est bien signalée, le nom des médicaments n’a pas été mentionné, de même que l’existence d’une pathologie particulière.
- L'anesthésiste était, quant à lui, parfaitement informé de la pathologie inflammatoire puisque le dossier d’anesthésie porte la mention d'une RCH depuis un an ainsi que du traitement en cours.
Mais le chirurgien-dentiste aurait dû se concerter avec l’anesthésiste
Certes, le questionnaire médical signé par le patient n’était pas exact puisqu’il ne mentionnait aucun antécédent.
Néanmoins, le tribunal retient la responsabilité du chirurgien-dentiste du fait de l’absence de toute concertation avec l’anesthésiste.
En effet, selon l'article R.4127-64 du Code de la santé publique (CSP) :
"Lorsque plusieurs médecins collaborent à l'examen ou au traitement d'un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés, chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles et veille à l'information du malade".
En application de ce texte, l'anesthésiste et le chirurgien se devaient d'échanger entre eux avant l'opération afin de connaître l'état général du patient et les risques éventuellement encourus en cas de traitement qui pourrait compliquer l'acte chirurgical.
En ne se renseignant pas sur le traitement suivi et sur les conséquences que ce traitement pouvait avoir, le chirurgien-dentiste a commis une faute engageant sa responsabilité.
Le praticien est condamné à indemniser une perte de chance de 25 % d’éviter de développer une poussée inflammatoire en lien avec la prescription.
Une décision sévère qui incite à la prudence
Cette décision est sévère.
S’il est exact qu’anesthésiste et opérateur doivent se concerter avant une intervention, le chirurgien-dentiste n’avait ici pas de raison de se rapprocher particulièrement de l’anesthésiste puisque, au regard des éléments qui lui avaient été fournis par le questionnaire médical, il n’existait aucun antécédent notable chez ce patient jeune.
Ce jugement rappelle que les juges accordent une grande importance à la collaboration et la concertation entre les praticiens qui concourent à la prise en charge, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une prise en charge chirurgicale.
La décision est néanmoins satisfaisante en ce qu’elle retient une simple perte de chance de 25 % d’éviter la majoration du risque de faire une poussée de RCH, alors que le patient invoquait, de son côté, une responsabilité de 100 %.