Une lente dégradation et une errance diagnostique
Un patient de 53 ans consulte pour des douleurs abdominales fréquentes, avec altération de l’état général.
Dans un premier temps, le tableau est mis sur le compte de cholécystites. Une cholécystectomie est réalisée 4 mois plus tard, avec un diagnostic de cholécystite chronique lithiasique.
Un mois après l’intervention, les symptômes persistent avec un amaigrissement de 20 kg et des vomissements. Une hospitalisation en gastroentérologie est décidée. Les examens pratiqués, dont une fibroscopie œsogastroduodénale, sont normaux, à l’exception d’une anomalie à l’électrophorèse des protides et à l’immunoélectrophorèse des protides (IgG Lambda et IgA Kappa) dont il n’est pas tenu compte. La protéinurie demandée pendant l’hospitalisation n’est pas réalisée. Le patient sort, après une légère amélioration clinique, sans que soit fixé un nouveau rendez-vous formalisé.
Il est réhospitalisé 9 jours plus tard en clinique cardiologique suite à un malaise au lever avec perte de connaissance. Il y séjourne 3 semaines. De multiples explorations non cardiologiques sont également réalisées (coloscopie, scanner TAP, pet scanner, écho endoscopie biliopancréatique, marqueurs tumoraux).
Certaines anomalies des examens cardiologiques ne sont pas prises en compte (ondes T négatives, ascension de la troponine et du NT-proBNP, hypertrophie ventriculaire gauche), malgré la survenue d’au moins 3 malaises avec perte de connaissance.
Finalement, les médecins penchent pour une orientation psychiatrique en évoquant, du fait d’un antécédent de dépression, un probable épisode dépressif sévère avec manifestations somatoformes, anorexie mentale, voire conversion hystérique.
Le patient est transféré en milieu psychiatrique. Il y reste 2 semaines, avec un séjour émaillé de plusieurs malaises, pertes de connaissance accompagnées parfois de traumatisme crânien, un aller-retour aux urgences sans suite jusqu’à son décès, d’un arrêt cardiorespiratoire non récupéré.
Un premier rapport d’autopsie conclut à une atteinte par l’amylose du foie, de la rate, du colon, du péricarde, et mentionne une cardiomégalie. Il aura fallu une relecture des lames pour diagnostiquer une atteinte amyloïde myocardique.
L’expert conclut à une probable amylose AL après analyse de l’entier dossier.
Symptômes de l'amylose AL
L’amylose AL ou primitive est une maladie rare, (700 nouveaux cas par an en France), non héréditaire, liée aux dépôts dans différents organes, sous forme de fibrilles, de la chaîne légère d’un anticorps monoclonal.
Son expression dépend de :
- l’organe atteint,
- l’importance du dépôt fibrillaire qui pourra déterminer une anomalie morphologique et/ou fonctionnelle.
Cette éventualité demande en général du temps, en fonction de l’accumulation de fibrilles. C’est ce qui explique la lente évolution de la maladie, dont les présentations cliniques sont multiples.
Atteinte des reins (dans 70 % des cas)
Elle peut se manifester par :
- une protéinurie,
- une hypoalbuminémie,
- des œdèmes puis une insuffisance rénale.
L’atteinte du cœur (dans 65 % des cas)
Les symptômes peuvent être :
- une insuffisance cardiaque,
- des anomalies de l’échocardiographie,
- une élévation de la troponine et du NT-pro-BNP sériques,
- des troubles du rythme.
L’atteinte du foie (dans 20 % des cas)
Elle se traduit par :
- une hépatomégalie,
- une ascite.
L’atteinte des nerfs
Elle peut être marquée par :
- une dysautonomie,
- une hypotension orthostatique.
L’atteinte digestive (10 à 80 % des cas)
Elle peut se manifester par :
- des troubles du transit,
- des hémorragies digestives.
Diagnostic de l'amylose AL
La chaîne légère de l’anticorps monoclonal peut être identifiée par l’électrophorèse et l’immunoélectrophorèse des protéines dans le sang et/ou dans les urines.
Le diagnostic repose sur la mise en évidence de la substance amyloïde et de son profil immunologique, à partir de la biopsie d’un organe atteint ou du fait du caractère disséminé des dépôts, du tissu graisseux sous cutané, de la peau ou des glandes salivaires.
Traitement de l'amylose AL
Le traitement, considéré comme une urgence en cas d’atteinte cardiaque, repose sur de la chimiothérapie, souvent de type Melphalan-Dexamethasone en première intention.
Une réévaluation précoce de son efficacité est nécessaire. Elle est basée sur les dosages de :
- troponine et du NT-pro-BNP sériques,
- la chaîne légère identifiée,
- la protéinurie.
En termes de pronostic, les médianes de survie selon les critères de la Mayo Clinic au moment des faits varient de 5.8 à 94.1 mois, en fonction du score au diagnostic.
Quels enseignements tirer de cette affaire ?
L’expert ne reproche pas aux médecins mis en cause de ne pas avoir diagnostiqué cette maladie rare, à la présentation polymorphe et progressive.
Par contre, il relève plusieurs manquements :
- ne pas avoir pas tenu compte, en cardiologie, des anomalies biologiques (ascension de la troponine et du NT-proBNP) et morphologiques du cœur. Dans le contexte d’altération de l’état général et de malaises non étiquetés, ces anomalies auraient dû faire l’objet d’autres investigations (coronarographie, IRM cardiaque), ou au moins d’un avis spécialisé dans un centre de référence de cardiomyopathies rares.
- ne pas avoir tenu compte de l’anomalie à l’électrophorèse des protéines et de ne pas avoir represcrit la protéinurie non effectuée, compte tenu de l’implication des résultats dans l’établissement du diagnostic d’amylose, et de leur valeur pronostique de réponse aux traitements.
- l’orientation en milieu psychiatrique a constitué une impasse diagnostique.
La perte de chance est fixée à 30 %. Elle est partagée à parts égales entre le cardiologue et les gastro-entérologue, à partir d’une estimation de survie à 3 ans entre 30 et 50 %. La fourchette basse a été retenue dans la mesure où l’absence de réponse au traitement sur le taux de chaînes légères n’a pu être déterminée.
Il apparaît donc toujours essentiel de :
- respecter l’obligation de moyens,
- prendre l’avis des centres de références dans les cas difficiles,
- de fixer formellement la suite de la prise en charge après hospitalisation (rendez-vous de consultation, lettre au médecin traitant, récupération des examens après la sortie).