Des nodules thyroïdiens considérés comme bénins
Une patiente de 59 ans est prise en charge pour un goitre multinodulaire, évoluant depuis 4 ans. Pas moins de 3 cytoponctions ont été réalisées, la dernière 2 ans plus tôt sur un nodule medio lobaire droit de 38mm TIRADS 3 concluant à un aspect cytologique bénin.
Une échographie thyroïdienne récente mesure les deux nodules principaux à 55 et 24 mm, décrit une petite majoration du rétrécissement trachéal. La TSH est normale.
Entre la majoration de volume des nodules, le rétrécissement trachéal et une gêne exprimée au chant par la patiente, son médecin la confie au chirurgien : une thyroïdectomie totale est pratiquée. La thyroïde pèse 70 g (normale 10 à 20) et est le siège de nombreux nodules mesurés entre 0.4 et 3.5 cm.
Après étude immunohistochimique, l’anatomopathologiste conclut à une hyperplasie nodulaire thyroïdienne bilatérale avec présence d'un volumineux nodule droit encapsulé, micro-vésiculaire, adénomateux. Absence de critère morphologique de malignité (rupture capsulaire, emboles vasculaires).
La patiente est alors substituée par hormones thyroïdiennes avec une adaptation du traitement selon les valeurs de TSH.
Une aggravation qui conduit à la relecture des lames de thyroïdectomie
Trois ans plus tard, la patiente présente une paralysie oculomotrice, avec visualisation d'une lésion tumorale à l'IRM cérébrale. La biopsie de cette lésion conclut à une localisation d'un carcinome vésiculaire dont la morphologie et l'immunohistochimie sont très en faveur d’une origine thyroïdienne.
Une relecture des lames de thyroïdectomie et des blocs est demandée. Elle retrouve un carcinome thyroïdien vésiculaire à invasion minime avec angioinvasion (plus de 4 emboles) de 3,5 cm et un contingent peu différencié évalué à moins de 5%, associé à une localisation métastatique hypophysaire de ce même carcinome.
Aucune récidive locorégionale dans la loge de thyroïdectomie ou dans la région cervicale n’est identifiée, le taux de thyroglobuline est très élevé.
La patiente est d’abord traitée par radiothérapie pour la lésion hypophysaire puis plusieurs traitements par radioiode sont pratiqués, compte tenu de la présence de métastases osseuses et pulmonaires iodofixantes.
Le point sur les cancers thyroïdiens folliculaires différenciés
Se présentant habituellement sous forme de nodule, les cancers thyroïdiens restent rares et prédominent chez les femmes (7e rang).
Sur 8 500 cancers thyroïdiens diagnostiqués chaque année en France, 5 à 10% des malades présentent une récidive et/ou une métastase à distance.
Les facteurs pronostiques sont :
- l’âge (> 55 ans moins bon) ;
- le sexe masculin (moins bon) ;
- la taille de la tumeur ou la présence de métastases ganglionnaires ou à distance au moment du diagnostic ;
- le type histologique : papillaire plus favorable que vésiculaire ;
- certains variants histologiques (Hurtle, Insulaire, sclérosant diffus) sont de moins bon pronostic.
80 à 85% des patients sont considérés à faible risque de rechute et la majorité de ces rechutes sont curables. Le risque de décès par cancer est inférieur à 2% à 20 ans.
La fréquence des métastases à distance est plus importante dans les cancers vésiculaires car ils se propagent par voie vasculaire, alors que les cancers papillaires se propagent par voie lymphatique, donnant plutôt des métastases ganglionnaires locorégionales bien visibles en échographie.
Le cas décrit l’illustre bien, avec une échographie de loge thyroïdienne normale sans métastases ganglionnaires cervicales.
Quels enseignements tirer de cette affaire ?
L’anatomopathologiste est mis en cause pour ne pas avoir diagnostiqué le carcinome vésiculaire thyroïdien sur la pièce de thyroïdectomie.
L’expert pathologiste confirme la malignité à la relecture des lames mais il reconnaît la discrétion des lésions :
- caractère minime de l’envahissement capsulaire (seulement présent focalement et non visible sur toutes les lames) ;
- emboles vasculaires de la prolifération vésiculaire existant seulement sur certains niveaux de coupe.
Il constate que le médecin n’a pas dérogé aux bonnes pratiques :
- bon échantillonnage de la pièce opératoire avec prélèvement complet de la capsule des différents nodules (et notamment du nodule le plus volumineux) ;
- reprise de prélèvement au niveau du nodule principal devant l’aspect histologique compact et micro vésiculaire ;
- relecture des lames au sein du laboratoire par un autre pathologiste ;
- transmission immédiate des blocs et des lames lors de la demande de relecture.
Les experts concluent donc finalement à une erreur non fautive, compte tenu de la difficulté à affirmer la malignité en considérant la discrétion des lésions et l’absence de tout contexte évoquant la malignité (cytoponction bénigne, rien de suspect cliniquement et pas de facteurs de risques).