Lésions du pied chez une diabétique
Une femme de 63 ans, diabétique, consulte un pédicure-podologue pour soins de pédicurie ; elle vient de son propre chef, sans courrier d’adressage de son médecin traitant, ni d’un diabétologue.
Les pieds sont mal entretenus, les pouls sont présents, il existe une hyperkératose et un durillon plantaire sous la tête du 2e métatarsien droit.
L'exérèse de ce durillon est pratiquée : aucune infection constatée, ni odeur, ni tuméfaction. Un pansement de décharge est mis en place après désinfection à la chlorhexidine.
Il est donné des conseils sur l'importance :
- de surveiller les pieds en cas de diabète,
- d'éviter le port de chaussures inadaptées à talons comme elle l’a toujours fait,
- de porter des semelles orthopédiques pour décharger l'avant pied,
- de le recontacter (ou le médecin traitant) si évolution négative.
Un rendez-vous est pris à un mois pour contrôler.
Six jours plus tard, la patiente se rend aux urgences hospitalières où il est décrit une plaie propre superficielle face plantaire du pied droit pour laquelle sont préconisés, en ambulatoire, des soins locaux et la prise d'antalgiques. Il lui est demandé de reconsulter en cas d’évolution défavorable.
Deux mois et demi plus tard, elle retourne aux urgences, inquiète de l’évolution de la lésion du pied malgré la prescription d’une association amoxicilline/acide clavulanique depuis 4 jours prescrite par un médecin généraliste. L'avis orthopédique constate l’absence d'abcès et diagnostique un durillon surinfecté, préconisant l’adjonction de pristinamycine et une réévaluation à 48 heures. La patiente retourne à domicile.
Elle sera finalement hospitalisée deux jours plus tard, pour une durée de six semaines : un diagnostic de dermohypodermite du dos du pied droit avec fasciite nécrosante compliquant un mal perforant est posé.
Plusieurs passages au bloc opératoire seront nécessaires pour détersion, pose de VAC. Il est par ailleurs constaté un contexte de diabète de type 2 déséquilibré (hba1c 11,9 %), multicompliqué : neuropathie sévère, rétinopathie proliférante, néphropathie avec dénutrition majeure (albuminémie 17,2 g/l).
Un mois après, lors d’une hospitalisation de jour, est décrite une plaie de 15 cm de long sur 8 cm de large, la persistance du mal perforant avec un pertuis de 1,5 cm et contact osseux faisant poser l’indication de greffes cutanées. Il est précisé que la décharge est peu respectée au domicile, que le diabète a été négligé avant l'hospitalisation avec refus de prendre les traitements proposés lorsqu’elle séjournait à l’étranger.
Recommandations sur la prise en charge pédicuro-podologique chez les diabétiques
Quelques chiffres :
La prévalence du diabète traité pharmacologiquement en France est estimée à 5 % en 2016, soit plus de 3,3 millions de personnes qui ont été traitées pour un diabète. Ces patients ont un risque d’hospitalisation pour une plaie du pied 5 fois supérieur à la population générale, et un risque d’amputation d’un membre inférieur multiplié par 7. Le risque d’ulcération est multiplié par dix et le risque d’amputation par 17 en cas d’anomalie de la sensibilité superficielle testée par l’absence de perception du monofilament.
La Haute Autorité de Santé, en collaboration avec le collège national de pédicurie podologie, a formulé des recommandations de bonnes pratiques pour l’évaluation du pied d’un patient diabétique.
La gradation du risque de plaie comprend 4 niveaux :
- Grade 0 : absence de neuropathie sensitive.
- Grade 1 : neuropathie sensitive isolée.
- Grade 2 : neuropathie sensitive (mauvaise perception du monofilament de 10 g Semmes-Weinstein 5,07) associée à une artériopathie des membres inférieurs et/ou à une déformation du pied.
- Grade 3 : antécédent d’ulcération du pied évoluant depuis plus de 4 semaines et/ou d’amputation, des membres inférieurs (voire une partie d’un orteil).
Des mesures préventives sont associées à chaque grade.
En présence d’une plaie, il est recommandé de :
- rechercher les facteurs déclenchants (chaussure inadaptée, marche à pieds nus, hyperkératose…),
- décrire la plaie,
- d’informer les patients sur ces situations à risque de plaie,
- d’informer le médecin traitant,
- d’orienter le patient présentant une plaie diabétique vers une équipe pluriprofessionnelle spécialisée dans le pied diabétique sous 48 heures.
Le conseil de la MACSF
- Des soins conformes ont été pratiqués : exérèse du durillon, désinfection, décharge. Ils ont été complétés par des conseils adaptés au diabète (chaussage adapté, confections de semelles, et revenir si évolution négative vers le pédicure ou vers le médecin traitant).
- L’orientation d’emblée vers un centre pied diabétique n’a pas été effectuée mais il n’y avait pas de caractère d’urgence, et l’information de reconsulter rapidement si nécessaire avait été délivrée.
- L'absence d’évolution défavorable à court terme a été confirmée : en effet, il n'a pas été constaté d'infection patente lors du passage hospitalier aux urgences, 6 jours après les soins, aucune antibiothérapie systémique n'a été prescrite.
Le contexte de déséquilibre du diabète et de ses complications (neuropathie, syndrome néphrotique probable avec dénutrition et hypoalbuminémie), l'absence de suivi médical coordonné et de décharge plus stricte ont largement contribué à cette évolution défavorable.
Ainsi, s’il est improbable d’envisager un manquement de la part du pédicure-podologue, plus discutable est l’attitude des médecins consultés ensuite, notamment à l’hôpital où la prise en charge du diabète s’est limitée à la réalisation d’une glycémie capillaire qui était d’ailleurs élevée dans ce contexte de pied diabétique : aucune information n’est tracée sur la neuropathie, l’état rénal et nutritionnel, facteurs majeurs de risque d’évolution péjorative.
- Une prise en charge plus précoce aurait permis de limiter les troubles trophiques du pied, avec :
- mise en décharge stricte,
- équilibration du diabète,
- amélioration du statut nutritionnel,
- traitement de la néphropathie,
- antibiothérapie ciblée après prélèvement profond.
- ll convient de rappeler que la mise en décharge est en pratique difficile à mettre en œuvre, entre les réticences du patient et ses modalités qui vont de la prescription de chaussures avec décharge de type Barouk® au fauteuil roulant.
La traçabilité de la mention "mise en décharge" sur une ordonnance de prescription constitue une preuve de sa prise en compte, même si elle n’est pas toujours suffisante.
La discussion sur les professionnels de santé impliqués dans la perte de chance d’obtenir une guérison de la plaie du pied à un stade précoce sera centrale : soin justifié de la part du pédicure-podologue, effectué dans de bonnes conditions d’asepsie et dont l’évolution péjorative aurait pu être évitée si les médecins consultés ensuite avaient eu une prise en charge holistique du diabète avec hospitalisation.
Crédit photo : BELMONTE / BSIP