Massage et monopole des masseurs-kinésithérapeutes : que disent les textes ?
- L’article L.4321-1 du Code de la santé publique (CSP) pose le cadre légal d’exercice des masseurs-kinésithérapeutes. Il a été modifié par la loi du 26 janvier 2016.
La rédaction antérieure définissait la profession de masseur-kinésithérapeute par rapport aux actes réalisés, consistant en la pratique du massage et de la gymnastique médicale. Pour ces deux domaines, expressément mentionnés, il existait donc un monopole du kinésithérapeute. S’agissant plus précisément des massages, il n’était fait aucune distinction selon le but, thérapeutique ou non, poursuivi.
La rédaction issue de la loi de 2016 est beaucoup plus large et supprime toute référence au massage et à la gymnastique médicale. La compétence exclusive des masseurs-kinésithérapeutes est désormais définie par référence à l’exercice de leur art, qui s’exerce pour la promotion de la santé, la prévention, le diagnostic kinésithérapique ainsi que le traitement des troubles du mouvement ou de la motricité de la personne, des déficiences ou des altérations des capacités fonctionnelles. - L’article R.4321-1 du CSP définit la masso-kinésithérapie comme une profession consistant en des actes réalisés de façon manuelle ou instrumentale, notamment à des fins de rééducation, qui ont pour but de prévenir l'altération des capacités fonctionnelles, de concourir à leur maintien et, lorsqu'elles sont altérées, de les rétablir ou d'y suppléer.
- L’article R.4321-3 du même code, définit quant à lui le massage comme "toute manœuvre externe, réalisée sur les tissus, dans un but thérapeutique ou non, de façon manuelle ou par l'intermédiaire d'appareils autres que les appareils d'électrothérapie, avec ou sans l'aide de produits, qui comporte une mobilisation ou une stimulation méthodique, mécanique ou réflexe de ces tissus".
La Cour de cassation distingue massages thérapeutiques et massages "bien-être"
Un premier jalon a été posé par la Cour de cassation, par deux arrêts en date du 29 juin 2021 (pourvois 20-83.292 et 20-83.294) intervenus après qu’une ordonnance de non-lieu a été rendue.
Dans ces affaires, une infirmière était poursuivie pour avoir réalisé régulièrement des massages à visée de "bien-être".
La Cour de cassation considère que les articles L.4321-1 et R.4321-1 du CSP combinés conduisent à considérer que "seul est qualifiable d’acte professionnel de masso-kinésithérapie le massage qui a pour but de prévenir l’altération des capacités fonctionnelles, de concourir à leur maintien et, lorsqu’elles sont altérées, de les rétablir ou d’y suppléer".
De ce fait, au vu des finalités prévues à l’article L.4321-1 :
La compétence exclusive des masseurs-kinésithérapeutes est donc restreinte aux massages à but thérapeutique.
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La Cour de cassation avance un argument supplémentaire : "les risques sanitaires qui résulteraient de la pratique des massages à finalité non thérapeutique par des personnes autres que des professionnels qualifiés ne sont pas avérés en l’état par les pièces produites et ne peuvent suffire à considérer que tout massage, quelle que soit sa finalité, serait un acte thérapeutique".
La chambre de l’instruction a donc pu légitimement conclure qu’il n’existe pas de charges suffisantes pour retenir un exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute. Ceci d’autant plus que l’infirmière n’a jamais entretenu de confusion entre les massages qu’elle propose et des actes à finalité thérapeutique.
La fin d'une controverse ? Pas si sûr...
L’arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2021 est la première décision à consacrer clairement la fin du monopole général des kinésithérapeutes pour la pratique des massages. Mais pour importante qu’elle soit, elle ne signe pas nécessairement encore la fin de toute controverse.
Depuis cette décision, de nombreuses affaires ont continué à être portées devant le juge sur ce même sujet.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation a encore eu à se prononcer, dans un arrêt du 17 septembre 2024 (23-84023). Il s’agissait cette fois d’un praticien en "biothérapie holistique" qui avait pratiqué sur une patiente des massages psychocorporels (ou massages californiens). Ces massages avaient pour objectif "d’éveiller la conscience psychocorporelle" pour réactiver la mémoire traumatique.
La patiente victime, comme le Conseil national de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, estimaient que ce type de massage n’entrait pas dans la catégorie "bien-être" et avait clairement un but thérapeutique. La Cour de cassation a estimé pour sa part que la définition du massage bien-être ne figure pas dans les textes applicables aux masseurs-kinésithérapeutes. Il manque donc l’élément matériel indispensable pour constituer le délit d’exercice illégal de la masso-kinésithérapie, et le praticien n’a donc pas été sanctionné.
Cette décision va, certes, dans le même sens que celle de 2021. Pour autant, elle soulève un point important : l’absence de définition du massage bien-être et les difficultés d’interprétation autour de la notion de massage à finalité thérapeutique.
On peut donc encore redouter des difficultés pour apprécier, selon les cas, si les massages litigieux ont ou non un but thérapeutique et s’ils entrent ou non dans le domaine du simple confort/bien-être.