Manipulations : de quoi parle-t-on exactement ?
Dans le langage courant, il est fréquent de confondre deux termes qui recouvrent pourtant des réalités différentes : la mobilisation et la manipulation.
La distinction est pourtant importante car elle a un impact direct sur les compétences des différentes professions amenées à réaliser ces gestes.
La mobilisation
Elle consiste en un mouvement lent, doux et passif, qui respecte le jeu physiologique de l’articulation et ne recherche pas le craquement.
La manipulation
Elle est définie sur le plan médical dans les années 60 par le Dr Robert Maigne, médecin rhumatologue et ostéopathe français.
Il s’agit d’un "mouvement forcé, appliqué directement ou indirectement sur une articulation qui porte brusquement les éléments articulaires au-delà de leur jeu physiologique habituel, sans dépasser la limite qu’impose à leur mouvement l’anatomie. C’est une impulsion brève, sèche, unique, qui doit être exécutée à partir de la fin du jeu passif normal. Ce mouvement s’accompagne en général d’un bruit de craquement1".
Médecins : oui pour les manipulations
L’arrêté du 6 janvier 1962 fixant les actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins évoque "toute mobilisation forcée des articulations et toute réduction de déplacement osseux, ainsi que toutes manipulations vertébrales et, d’une façon générale, tous les traitements dits d’ostéopathie, de spondylothérapie et de chiropraxie".
Il ne fait donc pas de doute qu’un médecin peut réaliser des manipulations.
Attention cependant...
Si l’omnivalence du diplôme de médecin autorise en principe à réaliser l’ensemble des actes médicaux, le médecin ne doit pas agir dans des domaines qui excèdent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose, comme le rappelle l’article R4127-70 du Code de la santé publique.
Il appartient donc à chaque praticien, en conscience, de s’interroger sur sa maîtrise de ces gestes et sur la possibilité de les réaliser en toute sécurité.
Masseurs-kinésithérapeutes : oui pour les mobilisations, non pour les manipulations
L’article R4321-7 du Code de la santé publique (CSP) détaille les techniques et actes que le kinésithérapeute est habilité à utiliser.
Parmi les actes autorisés figure la "mobilisation manuelle de toutes articulations, à l'exclusion des manœuvres de force, notamment des manipulations vertébrales et des réductions de déplacement osseux".
La Cour de cassation s’est prononcée de manière très claire quant à la distinction entre mobilisation (autorisée) et manipulation (non autorisée).
Par un arrêt du 23 janvier 2019 (n° 17-22.692), la responsabilité d’un masseur-kinésithérapeute a ainsi été retenue pour avoir réalisé une manœuvre forcée, responsable d’une dissection de l’artère vertébrale chez une patiente venue consulter pour des douleurs cervicales.
L’expertise a montré que le masseur-kinésithérapeute ne s'est pas borné à pratiquer des mobilisations comme il l'affirme mais des manœuvres :
- comportant une torsion ou un étirement du cou ;
- effectuées de surcroît sans prendre de précaution (réalisation d’un bilan préalable) et de façon "virile" ;
- provoquant des craquements ;
- et sans justifier d’une formation particulière.
Il s’agissait donc de manipulations, répondant à la définition du mouvement forcé, reposant sur une impulsion brève et sèche et provoquant un craquement.
Le kinésithérapeute n'était pas habilité à les réaliser. Il a donc commis une faute en lien causal direct et certain avec le dommage subi.
Pour en savoir plus sur les détails de cette affaire
Condamnation d’un kinésithérapeute pour des manipulations cervicales sans bilan préalable >
Ostéopathes non médecins : oui pour les manipulations mais après avis médical
Le décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d'exercice de l'ostéopathie précise, en son article 3, qu’à l’exception des manipulations gynéco-obstétricales, l’ostéopathe est autorisé à effectuer :
- les manipulations du crâne, de la face et du rachis chez le nourrisson de moins de 6 mois ;
- les manipulations du rachis cervical sur tout patient.
Une condition est cependant indispensable dans les deux cas : un diagnostic doit avoir été préalablement établi par un médecin, attestant l'absence de contre-indication médicale à l'ostéopathie.
Pour aller plus loin sur le sujet
Manipulations cervicales par l'ostéopathe : point médico-légal >
Chiropracteurs : oui pour les manipulations mais sous conditions
Le décret n° 2011-32 du 7 janvier 2011 relatif aux actes et aux conditions d'exercice de la chiropraxie précise dans son article 1er que les chiropracteurs sont autorisés à pratiquer :
- des actes de manipulation et mobilisation manuelles, instrumentales ou assistées mécaniquement, directes et indirectes, avec ou sans vecteur de force ;
- ayant pour seul but de prévenir ou de remédier à des troubles de l'appareil locomoteur du corps humain et de leurs conséquences, en particulier au niveau du rachis ;
- à l'exclusion des pathologies organiques qui nécessitent une intervention thérapeutique, médicale, chirurgicale, médicamenteuse ou par agents physiques.
Ils exercent dans le respect des recommandations de bonnes pratiques établies par la Haute Autorité de santé.
Comme pour les ostéopathes, les manipulations gynéco-obstétricales sont interdites.
Il existe plusieurs conditions impératives pour pratiquer une manipulation :
- Pour les manipulations sur le crâne, la face et le rachis chez le nourrisson de moins de 6 mois : disposer d’un diagnostic établi par un médecin, attestant de l'absence de contre-indication médicale à la chiropraxie.
- Pour toute manipulation : respecter les restrictions figurant en annexe du décret, qui doivent alerter et nécessiter des investigations complémentaires : existence de certains signes cliniques, de certaines contre-indications, etc.
En résumé
- La manipulation ne doit pas être confondue avec une simple mobilisation du rachis. C’est la raison pour laquelle il est important de bien en connaître la définition.
- Sa brièveté et sa vélocité en font un geste très particulier, avec des risques spécifiques. Il est essentiel de bien peser ces risques, en prenant en compte les contre-indications éventuelles et en n’hésitant pas à surseoir au geste en cas de doute.
Crédit photo : AUBERT / BSIP