Trois sanctions pour les mêmes faits, dans le cadre de trois procédures différentes
Un kinésithérapeute fait l’objet de trois procédures distinctes, pour avoir réalisé des actes professionnels fictifs :
- Devant la chambre correctionnelle d’une cour d’appel, qui aboutit en 2013 à une condamnation à une amende de 5 000 € pour escroquerie.
- Devant la section des assurances sociales de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, qui aboutit, également en 2013, à une décision prononçant une interdiction de six mois, dont trois avec sursis, de servir des prestations aux assurés sociaux.
- Devant la section disciplinaire du Conseil de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes : la chambre disciplinaire nationale prononce en 2018 la sanction d’interdiction d’exercice pendant sept mois, dont trois sont confondus avec la sanction précédemment infligée par la section des assurances sociales.
Le kinésithérapeute forme un pourvoi devant le Conseil d’État, pour contester la décision rendue par la chambre disciplinaire nationale. Il y soulève une question prioritaire de constitutionnalité (QPC*), assortie d’une demande de sursis à exécution de la décision d’interdiction prononcée.
Les arguments du kinésithérapeute
À l’appui de la QPC, le kinésithérapeute invoque deux arguments :
Une atteinte au principe de nécessité des délits et des peines
Ce principe implique qu’une même personne ne puisse faire l’objet de poursuites différentes, conduisant à des sanctions de même nature, pour les mêmes faits, en application de corps de règles protégeant les mêmes intérêts sociaux.
Une atteinte au principe de proportionnalité des délits et des peines
Il suppose que le montant global des sanctions prononcées ne dépasse pas le montant** de la plus élevée des sanctions encourues.
Le cumul des procédures est possible si l’intérêt défendu est différent
Le Conseil d’État considère comme non-fondé l’argument du non-respect du principe de nécessité des délits et des peines.
Chacune des procédures engagées à l’encontre du kinésithérapeute a ses finalités propres :
- La procédure disciplinaire vise à faire respecter les principes de moralité et de probité indispensables à l’exercice, et à assurer la défense et l’honneur de la profession.
- La procédure relative au contentieux du contrôle technique vise à redresser tout abus ou fraude commis par un professionnel de santé à l’occasion des prestations servies à des assurés sociaux, sous l’angle de la protection des intérêts financiers de la Sécurité sociale.
- La procédure pénale a pour objectif de protéger la société, en particulier dans le cas visé dans cette affaire, contre les personnes usant de tromperie.
Dans ces trois types de poursuites, les intérêts sociaux protégés ne sont pas les mêmes. Leur cumul ne méconnaît donc pas le principe de nécessité.
Un cumul des peines qui ne contrevient pas au principe de proportionnalité
Le Conseil d’État rejette également les arguments du kinésithérapeute sur le principe de proportionnalité des délits et des peines.
Le seul cumul prohibé par la loi (article 145-2 du Code de la Sécurité sociale) vise les sanctions disciplinaires et les sanctions prononcées dans le cadre du contentieux du contrôle technique. Dans ce cas, seule la sanction la plus forte doit être mise à exécution.
Dans cette affaire, ce principe a été respecté : la chambre disciplinaire nationale a prononcé une sanction de sept mois d’interdiction d’exercice, en prenant soin de préciser que sur ces sept mois, trois devaient être confondus – et non ajoutés – avec la sanction prononcée en 2013 par la section des assurances sociales.
Le Conseil d’État rappelle qu’il appartient par ailleurs aux juridictions ordinales de tenir compte des peines prononcées à titre complémentaire par les juridictions pénales (et réciproquement), pour éviter que le cumul des sanctions prononcées excède la sanction la plus élevée.
En l’espèce, le montant global des sanctions prononcées au titre des trois procédures n’excède pas le montant de la sanction la plus élevée.
Le pourvoi du kinésithérapeute n’est donc pas admis, et sa QPC n’est pas renvoyée devant le Conseil constitutionnel.
*- Qu'est-ce que la QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) ?
Définition
Droit reconnu à une partie à un procès ou une instance devant le juge civil ou administratif de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution (article 61-1 de la Constitution).
Procédure
Par écrit, et par l’intermédiaire de la Cour de cassation dans les instances civiles et du Conseil d’État dans les instances administratives.
Conditions de recevabilité
Trois conditions cumulatives :
- La disposition critiquée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement des poursuites.
- La disposition critiquée ne doit pas déjà avoir été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
- Il doit s’agir d’une question nouvelle ou présentant un caractère sérieux.
**- À quoi correspond le montant d'une sanction ?
Par montant, on n’entend pas nécessairement une somme. Ce peut être également, comme en l’espèce, une durée d’interdiction.