La mise en cause tardive d’un pédiatre pour négligence
Un enfant naît avec une malformation congénitale de la partie basse de la moelle épinière, commandant la motricité et la sensibilité des membres inférieurs, ainsi que le sphincter anal et vésical. A l’âge de 4 mois, il subit une intervention neurochirurgicale pour remédier à cette malformation. Par la suite, son suivi pédiatrique est assuré par un pédiatre de ville.
Alors que l’enfant a 12 ans, il consulte pour une rétention d’urine. Le praticien l’adresse en urgence à un urologue pédiatrique, qui à son tour l’oriente vers un urologue référent en neuro-urologie hospitalier.
Quelques mois plus tard, l’adolescent subit une intervention chirurgicale réalisée par un neurochirurgien pédiatrique en raison d’une vessie neurologique qui s’est développée à bas bruit.
Dans une lettre qu’il adresse au pédiatre traitant, le neurochirurgien déplore l’absence de mise en place plus systématique et plus précoce d’un suivi électro physiologique et urodynamique. Il estime que cela aurait pu empêcher la survenue de la vessie neurologique.
Dix ans plus tard, le patient, devenu majeur et atteint d’une paralysie vésicale définitive, invoque le contenu de cette lettre pour mettre en cause la responsabilité du pédiatre. Il lui reproche, alors qu’il était le pédiatre traitant, de ne pas avoir dispensé des soins appropriés et de ne pas avoir "passé la main" à un praticien plus spécialisé, si les particularités du suivi l’imposaient.
Il est débouté en appel et se pourvoit en cassation.
Une pathologie urinaire qui outrepasse les compétences du pédiatre
La Cour de cassation approuve et confirme le raisonnement de la Cour d’appel.
Il est établi par les pièces du dossier qu’à l’époque de l’épisode de rétention urinaire, le pédiatre n’assurait que le suivi pédiatrique courant de l’enfant. Or, la pathologie urologique nécessitait, selon l’expert judiciaire, "l'intervention de plusieurs praticiens hyperspécialisés en neurologie et en urologie pédiatrique".
Le pédiatre n’avait donc ni la compétence, ni les moyens de suivre une pathologie telle que celle de la victime.
Il ne peut lui être reproché de ne pas avoir fait appel à des tiers plus compétents, dans la mesure où il n’était pas en charge du suivi de la pathologie du patient et qu’à compter de 1998, les consultations n’étaient que sporadiques. Ceci d’autant plus que quand il a été consulté pour un motif de rétention d’urine, le praticien a bien adressé son patient à un spécialiste pour une prise en charge adaptée.
Que retenir de cette affaire ?
La solution retenue par la Cour de cassation est parfaitement logique au regard des textes et de la jurisprudence.
Le patient reprochait au pédiatre de ne pas avoir correctement traité une pathologie urologique dont l’expertise judiciaire a pourtant établi le caractère très spécifique.
Or, et c’est ce qu’illustre l’arrêt de la Cour de cassation :
L’omnivalence du diplôme de docteur en médecine ne signifie pas que tout praticien peut prendre toute pathologie en charge, sans distinction. Excepté dans des cas d’urgence très particuliers, il doit apprécier en conscience s’il est compétent pour assurer une prise en charge au-delà de sa sphère habituelle de compétences.
Quand ce n’est pas le cas, poursuivre la prise en charge malgré tout peut même engager la responsabilité du praticien, comme l’a jugé la Cour de cassation depuis 2012.
Dans cette affaire, le pédiatre s’est cantonné au suivi pédiatrique courant, conformément à son périmètre de compétences. Puis, quand le patient a commencé à présenter des troubles évocateurs d’une pathologie urologique nécessitant des soins plus pointus, il l’a adressé aux spécialistes ad hoc.
Il a ainsi pleinement respecté les limites de ses compétences. Compétences qui doivent servir de référence pour déterminer les règles de l’art dont le respect s’impose dans le cadre de l’obligation de moyens.