Des photographies prises lors des soins et ensuite utilisées pour un enseignement à la Faculté
Un praticien hospitalier, spécialisé en médecine et chirurgie bucco-dentaire, soigne une patiente, influenceuse, dans le cadre de ses fonctions hospitalières.
À cette occasion, il réalise plusieurs photographies du visage et de la dentition de sa patiente, classées ensuite dans le dossier hospitalier.
Le praticien, qui occupe également un poste d’enseignant à la Faculté de chirurgie dentaire, diffuse à ses étudiants un cas pratique incluant plusieurs des photographies prises lors des soins.
Trois semaines plus tard, la patiente l’apprend et demande par courrier à la Faculté, de faire cesser la diffusion de son image, tout en sollicitant la réparation de son préjudice.
À nouveau trois semaines plus tard, la Faculté l’informe que l’enseignant a mis fin à la diffusion des photographies en question. La patiente réitère, cette fois-ci auprès du CHU et de l’Université, sa demande de réparation du préjudice subi du fait de la diffusion non autorisée de son image.
L’absence de réponse valant rejet implicite, la patiente, souhaitant une indemnisation et non une sanction du praticien, formule sa demande devant le Tribunal administratif (TA) à l’encontre du CHU et de la Faculté.
Quels étaient les textes applicables dans cette situation ?
Dans son jugement du 9 juillet 2024, le TA rappelle les différents régimes de protection dont bénéficient les patients :
- L’article 9 du Code civil sur le respect de la vie privée.
- L’article L1110-4 du Code de la santé publique (CSP) sur le secret pesant sur tous les intervenants dans le système de santé.
- L’article R4127-4 CSP sur le secret professionnel des médecins.
- L’article R4127-73 CSP sur l’anonymisation des documents utilisés pour l’enseignement ou les publications.
- Et enfin, l’article R6153-46 CSP précisant qu’à partir de la 1re année du 2e cycle des études de médecine, les étudiants ont la qualité d’agent public et sont tenus au secret professionnel et à l’obligation de discrétion professionnelle.
Deux institutions mises en cause pour la faute d'un seul praticien
Les deux institutions mises en cause se "renvoient la balle", estimant chacune que l’éventuelle faute de ce praticien/enseignant n’engage pas sa responsabilité, tout en demandant à être garanti par l’autre de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre.
- L’Université a, pour sa part, invoqué l’article L952-2 du Code de l’éducation organisant l’indépendance et la liberté d’expression des enseignants pour demander son exonération de toute responsabilité.
Le Tribunal a répondu que l’Université doit répondre des fautes de ses agents, sauf de celles qualifiées de « détachables du service ».
- Il était par ailleurs prétendu que la patiente n’était pas reconnaissable sur ces photographies.
Le Tribunal n’a pas retenu cette argumentation car la patiente a bel et bien été reconnue à l’occasion de leur utilisation lors de l’enseignement, vraisemblablement du fait de sa qualité d’influenceuse.
- Il a été également avancé que ces informations médicales et ces photographies n’avaient pas un caractère dégradant.
Les juges ont considéré que ceci n’avait pas d’influence sur la matérialité de la violation du droit au respect de la vie privée de la patiente.
Une responsabilité partagée entre le CHU et l'Université
Le Tribunal administratif rappelle que le secret auquel était tenu ce praticien, tant dans ses fonctions hospitalières que pédagogiques, concerne l’ensemble des informations venues à sa connaissance, y compris pour l’utilisation des photographies prises initialement à des fins thérapeutiques.
S’agissant des supports d’enseignement, le tribunal indique "si, dans ce cadre, ils peuvent utiliser des éléments des dossiers médicaux de leurs patients, ils doivent préalablement s'assurer que ceux-ci y aient consentis ou ne soient pas identifiables."
Sur l’engagement de la responsabilité du CHU et de l’Université, le tribunal a considéré que le praticien, incriminé tant en qualité d’agent du CHU que d’agent de l’Université, a commis des fautes de nature à engager la responsabilité de ses employeurs.
La responsabilité des deux institutions est engagée
Cette décision peut surprendre puisque la procédure portait uniquement sur la transmission à des étudiants de données médicales dans un cadre pédagogique et non sur le recueil de données à l’occasion des soins, ni sur leur conservation.
C’est une responsabilité par moitié qui a été retenue puisque chaque structure est condamnée à garantir l’autre de 50 % des condamnations prononcées.
Cette décision montre la complexité de la situation d'une double activité de praticien et d’enseignant, ces deux casquettes ayant conduit les deux institutions à se renvoyer la balle ou à tenter de se désolidariser de leur agent.
À titre d’indemnisation de son préjudice lié à la diffusion de ces images, la patiente a demandé la somme de 15 000 €, invoquant l’impact sur son activité d’influenceuse.
Le tribunal lui a accordé 2 000 € en réparation de son préjudice moral, considérant que son préjudice "professionnel" n’était pas prouvé.
Un enseignement à retenir... prudence dans l'utilisation des données des patients
La pratique, très courante, de présentation de situations cliniques réelles lors des enseignements médicaux impose une grande prudence.
Les nécessités pédagogiques ne constituent ni une exception au secret professionnel, ni une dérogation aux droits des patients.
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Les précautions à prendre sont très bien résumées dans les commentaires du Conseil national de l’Ordre des médecins de l’article 73 du Code de déontologie médicale (art. R4127-73 CSP) :
Les photographies, si elles comprennent le visage, doivent être masquées. Si des détails de l'observation étaient de nature à permettre une identification facile, ils exposeraient l'auteur à des poursuites pour violation du secret. Le médecin doit prendre toutes mesures pour que l'identification des personnes soit impossible lorsqu'il fait part de son expérience ou de ses documents aux fins de publication scientifique ou d'enseignement.
Les praticiens intervenant sur le visage (chirurgie dentaire, chirurgie maxillo-faciale, chirurgie esthétique, dermatologie…) doivent ainsi :
- limiter la prise de photographies à la seule nécessité du suivi thérapeutique ;
- en discuter avec leurs patients ;
- leur demander leur accord pour toute utilisation hors soins.
À l’aide des outils numériques, découper la lésion sur la photographie pour la placer sur un visage type constitue une solution simple et aujourd’hui souvent utilisée.