Une accusation péremptoire de non-assistance à personne en danger
Un homme, en état de détresse respiratoire supposée suite à une crise d’allergie, se rend dans une pharmacie afin de se voir délivrer les médicaments prescrits.
Alors que la pharmacienne part les chercher, il prend à partie deux autres personnes entrées entre temps dans l’espace de vente en leur adressant, pour une raison inconnue, des propos à caractère raciste. Craignant que la situation ne dégénère, la pharmacienne demande au patient de bien vouloir quitter les lieux, sans lui délivrer ses médicaments.
Le patient éconduit invoque une non-assistance à personne en danger. Il porte plainte contre la pharmacienne devant le Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens, pour refus de dispensation.
Bien que la chambre disciplinaire rejette sa plainte et le condamne au paiement d’une amende de 1 000 euros pour recours abusif, il interjette appel de la décision devant la chambre disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens.
Pas de manquement déontologique de la pharmacienne mais une sanction du patient pour accusation téméraire
Dans sa décision rendue le 8 juillet 2024, le Conseil national examine le contexte dans lequel les médicaments n’ont pas été délivrés, au regard des règles déontologiques régissant la profession de pharmacien.
Plusieurs pièces du dossier permettent d’éclairer les juges d’appel :
- le constat d’huissier retranscrivant les images captées par les caméras de surveillance placées dans l’officine ;
- les témoignages d’un voisin résidant au-dessus de la pharmacie.
Ces éléments permettent de confirmer qu’alors que la pharmacienne était partie chercher ses médicaments en vue de procéder à leur délivrance, le patient a proféré des propos racistes à l’encontre de deux individus. C’est la raison pour laquelle elle lui a demandé de partir, du fait de la tension au sein de l’officine.
Sur le comportement déontologique
La pharmacienne a parfaitement respecté l’article R4235-3 du code de la santé publique, lequel prévoit que le pharmacien "doit avoir en toutes circonstances un comportement conforme à ce qu'exigent la probité et la dignité de la profession. Il doit s'abstenir de tout fait ou manifestation de nature à déconsidérer la profession, même en dehors de l'exercice de celle-ci".
Sur la non-assistance à personne en péril
Le plaignant soutient que le refus de délivrance constitue un délit de non-assistance dans la mesure où il était en état de détresse respiratoire.
Porter assistance à une personne en péril est en effet une obligation déontologique, mais également légale et morale, pour tout citoyen et à plus forte raison pour tout professionnel de santé.
Selon l’article R4235-7 du code de la santé publique, "Tout pharmacien doit, quelle que soit sa fonction et dans la limite de ses connaissances et de ses moyens, porter secours à toute personne en danger immédiat, hors le cas de force majeure".
Le manquement à cette obligation ne peut être sanctionné que si quatre conditions cumulatives sont réunies :
En l’espèce, le conseil national considère que le patient n’apporte aucun élément de preuve quant à sa prétendue situation de péril imminent : dès lors, la première condition n’est pas remplie.
Aucun refus de délivrance ne peut, dans ce contexte, être reproché à la pharmacienne et, en l’absence de toute faute disciplinaire susceptible de lui être reprochée, l’appel du patient est rejeté.
Le conseil national considère que la plainte du patient est abusive et une amende de 1 000 euros est mise à sa charge à ce titre.
Ce qu'il faut retenir de cette affaire
Les Ordres professionnels ont pour mission de veiller au maintien des principes de moralité, de probité et de dévouement des professionnels de santé qui en relèvent, ainsi qu’à l’observation des règles déontologiques.
Cette décision est l’occasion de rappeler que si le juge peut, en cas de manquement, infliger certaines sanctions telles qu’un avertissement, un blâme ou encore une suspension temporaire du droit d’exercer, il a également la possibilité "d’infliger à l’auteur d’une requête qu’il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 €" (article R741-12 du code de justice administrative).
C’est ce qu’a fait le Conseil national dans cette affaire. Une telle décision n’est pas fréquente : dans la quasi-totalité des cas, les plaintes des patients, même infondées, ne sont pas pour autant considérées comme abusives. Seuls certains cas très particuliers peuvent le justifier.
Par exemple, par une décision du 4 juillet 2016, une patiente a été condamnée à une amende de 500 € pour recours abusif. En l’espèce, une patiente reprochait à une pharmacienne de l’avoir mal reçue dans son officine et mal conseillée à l’occasion de la délivrance d’une coudière prescrite. Elle avait ensuite refusé de reprendre cette coudière, alors qu’elle ne convenait pas. La pharmacienne attestait du fait que la coudière avait été portée plusieurs fois, empêchant donc toute reprise.
En relevant l’absence de témoignage de tiers permettant de prouver le comportement de la pharmacienne à l’égard de la patiente, aucune faute ne peut être établie. Par ailleurs, le fait de refuser de rembourser un article ayant été porté ne contrevient à aucun article du Code de déontologie des pharmaciens.
Conseil national des pharmaciens, 4 juillet 2016, n° 2184 |