Une communication de dossier dépassant tout délai raisonnable
Une patiente atteinte d’une démence fronto-temporale associée à une maladie du motoneurone, est hospitalisée au CHU. Elle y a été admise, à la suite de l’aggravation de son état de santé et d’importantes difficultés à se nourrir, afin d’y recevoir une assistance alimentaire sous la forme notamment d’une alimentation entérale par gastrostomie.
Après plusieurs épisodes de régurgitations, la patiente subit un examen radiographique, à la suite immédiate duquel elle est retrouvée décédée dans sa chambre, début octobre 2016.
La famille intente une action contre le CHU.
Elle invoque notamment le fait que l’établissement n’a fait droit à sa demande de communication du dossier médical que plus de 18 mois après.
Ce retard est de nature à lui causer un préjudice moral car les seuls éléments initialement en sa possession ne lui permettaient pas d’identifier de façon certaine les causes de la mort.
L’époux et la fille de la patiente avaient en effet sollicité la communication du dossier médical en octobre 2016. La transmission n’a lieu que fin mai 2018 pour la radiographie demandée, à l’occasion des opérations d’expertise, et mi-septembre 2018 s’agissant de la feuille de dispensation de médications.
L'appréciation du Conseil d'État : extension des cas de présomptions de préjudice moral à l'hôpital public
Traditionnellement, le décès d’un patient ouvre droit à l’indemnisation de la douleur morale liée à la disparition d’un proche (dit préjudice d’affection) et des préjudices économiques en découlant, à condition pour la famille d’apporter la preuve de l’existence de ces préjudices, au moyen de justificatifs.
Récemment, dans un arrêt du 12 mars 2019, le Conseil d’État a consacré l’existence d’un possible préjudice moral, présumé, lié aux conditions dans lesquelles les proches du patient apprennent son décès.
En l’occurrence, l’annonce avait été faite à l’occasion d’une visite alors que le décès remontait à la veille et que le corps avait déjà été transporté à la morgue.
Dans l’arrêt du 13 février 2024, le Conseil d’État étend cette présomption de douleur morale au profit de ces ayants droit qui ont obtenu le dossier médical de leur proche au-delà d’un délai raisonnable après leur demande.
Pour le Conseil d’État, le CHU a commis une faute de nature à causer à la famille un préjudice moral, en l’absence de "toutes circonstances particulières" démontrées : l’établissement est condamné à verser à chacun des ayants droit une indemnité de 2 000 €.
Il a ainsi fait application en l’espèce des dispositions de l’article L1111-7 du Code de la santé publique relatives à la communication du dossier médical du patient décédé à ses ayants droit dans le respect des dispositions de l’article L1110-4 du même code.
Elles prévoient que le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, "dans la mesure où elles sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits (…)".
Ce qu'il faut retenir
Par la consécration d’une présomption de préjudices moraux, le Conseil d’État semble vouloir alerter les établissements publics hospitaliers sur les situations anormales auxquelles peuvent être confrontés les ayants droit d’un patient décédé : le manque d’empathie du personnel qui annonce tardivement un décès ou encore la communication très tardive du dossier médical permettant de comprendre, enfin, les causes du décès.
Les préjudices moraux qui en résultent se déduisent de ces seules circonstances et même, plus généralement, de la nature même de tels manquements.
L’établissement conserve néanmoins la possibilité de se prévaloir de "circonstances particulières", notion que le Conseil d’État ne définit pas mais dont les décisions à venir viendront sans doute préciser le contour.