Piège n° 1 : refuser de transmettre le dossier
La situation
Depuis quelques mois, vous entretenez des relations tendues avec un patient : il remet en question vos prescriptions et vous a récemment reproché de ne pas lui avoir proposé un traitement qui a fonctionné pour une personne de sa connaissance.
Alors que vous ne l’avez plus revu depuis 4 mois, vous recevez un courrier de sa part, par lequel il vous demande de lui transmettre des éléments de son dossier.
Vous trouvez cette démarche suspecte : au vu de vos relations du moment, il cherche sans doute à vous faire des reproches.
Vous décidez d’ignorer sa demande et de ne pas lui répondre.
Les textes
C’est une erreur à ne surtout pas commettre !
En effet, vous n’avez pas le choix : l’accès du patient à son dossier médical est un principe posé par l’article L1111-7 du Code de la santé publique. Cet accès peut être direct ou se faire par l’intermédiaire d’un médecin désigné par le patient.
Devant une demande qui respecte les conditions posées par les textes, les éléments du dossier qui y répondent doivent être transmis.
Le risque
Un chirurgien-dentiste a été sanctionné d’un blâme par le Conseil national de l’Ordre pour avoir refusé obstinément de transmettre son dossier à une patiente, malgré plusieurs demandes et même une rencontre avec un conseiller ordinal. Il a été considéré que, ce faisant, il a commis une infraction déontologique et porté atteinte à la considération due à la profession.
La CNIL a également prononcé de lourdes sanctions (10 000 €) pour non-respect du droit d’accès du patient à son dossier médical.
Dans une autre affaire, la Cour administrative d’appel de Versailles a condamné, par un arrêt du 5 janvier 2021, un établissement à une indemnité de 1 000 € pour n’avoir transmis les pièces médicales aux ayants droit qu’après de multiples demandes et une médiation restée sans suites.
Piège n° 2 : transmettre le dossier avec retard
La situation
L’un de vos patients vient de mourir des suites d’un cancer. La veille de votre départ en congés pour l’été, son fils et sa fille vous écrivent pour demander transmission de pièces médicales du dossier susceptibles de les renseigner sur les causes du décès de leur père.
Vous prévoyez de vous en occuper à votre retour de vacances. Lors de la reprise de votre activité, vous êtes débordé et oubliez finalement de le faire.
Ce n’est qu’à réception d’une lettre de relance des enfants de votre patient, 3 mois plus tard, que vous leur adressez les pièces nécessaires.
Les textes
L’article L1111-7 du Code de la santé publique prévoit que la transmission doit avoir lieu dans les 8 jours de la demande. Ce délai est porté à 2 mois quand les informations médicales datent de plus de 5 ans ou quand la commission départementale des soins psychiatriques a été saisie.
Ces délais s’appliquent tant pour les demandes faites par le patient lui-même que par ses ayants droit en cas de décès.
Temporiser ou renvoyer à plus tard sont donc des options dangereuses.
Le risque
Le Conseil d’État a jugé, dans un arrêt du 13 février 2024, que "l'absence de communication aux ayants droit des informations nécessaires pour éclairer les causes du décès comme le retard à les communiquer dans un délai raisonnable constituent des fautes et sont présumés entraîner, par leur nature même, un préjudice moral, sauf circonstances particulières en démontrant l'absence."
Dans cette affaire, l’établissement de soin avait mis 18 mois pour adresser les pièces demandées aux ayants droit. Il est condamné, à ce titre, à réparer un préjudice moral à hauteur de 2 000 € pour chacun des ayants droit.
En retenant une présomption de préjudice moral en cas de retard de transmission, le Conseil d’État dispense l’ayant droit (ou plus généralement le patient) de l’obligation d’apporter la preuve de l’existence de ce préjudice. C’est, au contraire, au défendeur d’apporter la preuve qu’en l’espèce, ce préjudice n’existe pas.
Piège n° 3 : ne pas trier les pièces avant de transmettre le dossier
La situation
Une jeune patiente, récemment devenue majeure, vous demande communication de son dossier médical.
Vous lui adressez l’intégralité du dossier que vous avez photocopié rapidement.
Les textes
L’article L1111.7 du Code de la santé publique précise que toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels de santé, qui sont formalisées ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé.
Mais il existe une exception importante : les informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers. Cette exception répond aux exigences du secret médical.
Le praticien ne doit donc pas communiquer l’ensemble des pièces contenues dans le dossier : il doit en extraire celles qui ont été recueillies auprès de tiers à la prise en charge, ou qui concernent de tels tiers.
Le risque
En l’espèce, il faut faire très attention à ne pas transmettre d’éléments qui concernent une autre personne que votre patiente.
Par exemple, un avertissement a été infligé par le Conseil national de l’Ordre à un psychiatre pour avoir transmis à une patiente son entier dossier, alors qu’il comportait des informations détaillées sur ses parents, et notamment des réflexions sur leur comportement "étonnant", qualifié de "pervers".
Une telle appréciation pouvait trouver sa place dans le dossier, comme un élément parmi d’autres, et éclairer sur la situation de la patiente. Mais lors de la transmission du dossier, le médecin devait faire attention à ne surtout pas envoyer ces pièces.
Piège n° 4 : perdre le dossier... et être dans l'impossibilité de le transmettre
La situation
Une patiente que vous suivez depuis 30 ans vous demande la transmission des pièces de son dossier relatives au suivi d’une pathologie déclarée en 1999.
À cette époque, votre cabinet n’était pas informatisé et vous n’utilisiez que des dossiers papier, que vous avez stockés dans une pièce de votre cabinet.
Vous cherchez les éléments demandés mais constatez que vous ne les avez plus. Vous vous souvenez alors que pendant l’hiver 2003, un dégât des eaux s’est produit dans cette pièce et vous avez dû jeter deux boîtes de classement, parmi lesquelles se trouvait sans doute le dossier de votre patiente.
Les textes
Les textes ne prévoient pas expressément le cas du dossier perdu ou détruit accidentellement. Ce n’est donc pas une exception au principe de la transmission du dossier.
Même s’il n’existe pas de délai imposé de conservation de leurs dossiers pour les médecins libéraux (contrairement aux établissements, pour lesquels les délais sont fixés par l’article R1112-7 du Code de la santé publique), il va de soi que le médecin doit pouvoir répondre à la demande de transmission de ses patients.
En effet, tenir un dossier pour chaque patient est une obligation légale.
On considère que le praticien doit conserver les pièces médicales pendant la durée correspondant à la prescription de l’action civile, soit 10 ans à compter de la consolidation du dommage.
Par prudence, il est même recommandé de les conserver bien plus longtemps, jusqu’à 30 ans (voire jusqu’à 48 ans quand le patient est mineur).
Le risque
Le risque est très important en cas de litige avec un patient qui remet en cause la pertinence et la qualité des soins reçus.
La jurisprudence est constante sur le sujet depuis plusieurs années et notamment, de façon très claire, par un arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 2016.
Quand le médecin ou l’établissement n’est pas en mesure de fournir le dossier parce qu’il l’a perdu, la charge de la preuve est inversée en cas de litige.
Ce n’est plus au patient d’apporter la preuve d’une faute du médecin, mais au médecin de prouver que sa prise en charge a été adaptée. Ce qui sera particulièrement difficile en l’absence d’éléments du dossier permettant de retracer cette prise en charge.
Piège n° 5 : faire payer la consultation du dossier sur place
La situation
Un patient vous a contacté pour vous demander de consulter les pièces de son dossier médical relatives à son suivi oncologique. Il vous a indiqué qu’il souhaitait consulter ces éléments sur place, à votre cabinet.
Vous lui demandez de prendre un créneau de rendez-vous pour cette consultation. Vous comptez le recevoir, lui expliquer certains points du dossier s’il le souhaite, et lui facturer une consultation.
Les textes
La consultation des pièces sur place est absolument gratuite, comme l’indique l’article L1111-7 du Code de la santé publique.
Le praticien doit fixer un rendez-vous personnalisé et s’entretenir avec le patient pour répondre à ses éventuelles questions. Mais cet entretien ne peut être facturé.
Le risque
Le patient qui se verrait facturer une consultation pourrait vous le reprocher, notamment en saisissant le conseil de l’Ordre.
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