Un vertige positionnel paroxystique "bénin" qui ne l'était pas
En sortant de sa voiture alors qu’il est en déplacement en province, Monsieur M., 58 ans, présente des vertiges qu’il va décrire à son médecin traitant, consulté par téléphone, comme l’impression de "tanguer" et d’être "saoul".
Sur son conseil, il se rend chez un généraliste. Celui-ci, constatant un examen normal mais une tension élevée à 180/100 mm Hg, l’adresse sans délai aux urgences de la clinique la plus proche.
Là, le médecin urgentiste, le docteur U., dont on verra que l’identité pose problème, rapporte son examen comme suit : "syndrome vertigineux. Romberg. Nystagmus horizontal. Pas d’acouphènes. Pas de signes neuro de focalisation".
Le bilan biologique est normal, tout comme l’ECG.
Un avis est pris auprès d’un ORL, le docteur O., qui conclut à un vertige paroxystique positionnel bénin. Le patient quitte donc les urgences dans l’après-midi avec une prescription de Serc®.
La soirée est difficile, marquée par des nausées et vomissements. Vers minuit, le patient ressent des crampes et des paresthésies de l’hémicorps gauche mais parvient quand même à s’endormir. Au réveil, il découvre être hémiplégique.
Aidé d’un collègue de travail, il se rend aux urgences où un scanner injecté puis une IRM sont considérés comme peu parlants par le radiologue, le docteur R.
L’urgentiste de garde décide cependant du transfert immédiat du patient en neurologie au CHU.
La conclusion des neurologues à la relecture de l’IRM en question est celle d’un accident ischémique bulbaire paramédian droit.
Un traitement par héparine à la seringue électrique est instauré et le bilan, complété par une angio-IRM, retrouve une thrombose proximale athéromateuse de l'artère vertébrale droite dans sa portion cervicale. L’HTA est également traitée lors du séjour.
Malgré une longue rééducation, le patient ne récupère que peu.
Le jour de l’expertise, il explique devoir se déplacer avec un déambulateur, être très handicapé par la parésie persistante du bras gauche, ne plus pouvoir travailler et avoir rencontré des difficultés dans son couple, vivant désormais seul avec son chien. Il ajoute avoir dû d’ailleurs être hospitalisé pendant plus de 10 jours pour une tentative de suicide l’année suivant son retour à domicile.
Un diagnostic de bénignité non étayé
Les experts missionnés par la CCI, après avoir pris connaissance du dossier, insistent sur plusieurs points.
Un manque d'organisation flagrant de l'établissement
Il est impossible d’affirmer l’identité de l’urgentiste car deux noms apparaissent… alors que l’un des deux contestait sa présence ce jour-là en fournissant un certificat attestant de son intervention à plusieurs centaines de kilomètres de la clinique.
Une observation incomplète de la part de l'urgentiste
Les experts reprochent à l’urgentiste supposé présent :
- une observation incomplète ;
- l’absence de prescription d’imagerie ;
- l’absence d’avis neurologique, alors même que la symptomatologie justifiait d’éliminer avant tout un accident vasculaire chez ce patient obèse, hypertendu et diabétique.
Une prise en charge inadaptée de la part de l'ORL
Les experts reprochent à l’ORL :
- de n’avoir rédigé aucune observation ;
- de s’être contenté d’affirmer son diagnostic sans l’étayer ;
- d’avoir mobilisé le patient sur un fauteuil rotatif, ce qui dans le cas présent était totalement contre indiqué…
Un défaut de diagnostic de la part du radiologue
La responsabilité du radiologue, le docteur R., qui sera dans l’incapacité de retrouver la disquette de son imagerie et donc de la produire, sera également reconnue, tant le caractère évident de l’AVC transparaissait dans les différentes observations dès l’admission du patient au CHU.
Pour autant, au vu de la rapidité du transfert, aucune perte de chance ne peut être mise en relation avec son erreur, rapidement redressée.
Les experts concluent...
La responsabilité du retard diagnostique de cet AVC doit être supportée, à parts égales, par l’urgentiste supposé présent le jour des faits et le radiologue.
Ce retard diagnostique est à l’origine d’un retard de plus de 12 heures à la mise en route d’une anticoagulation efficace, qui aurait pu permettre selon eux de limiter les séquelles du patient. La perte de chance est estimée à 50%.
Tel ne sera pas tout à fait l’avis de la CCI
Se fondant sur différentes attestations, dont celle de l’épouse, elle considère que c’est finalement le second urgentiste qui était présent ce jour-là, en tant que remplaçant de celui dont la faute avait été mise en évidence par les experts.
La CCI le condamne avec l’ORL à réparer une perte de chance qu’elle évalue pour sa part à 30 %.
Les différents intervenants contestant le rapport, un refus d’offre a depuis été formulé, l’histoire n’est donc peut-être pas terminée…
Le vertige paroxystique bénin : pas si facile à affirmer !
Le vertige positionnel paroxystique bénin (VPBB), qui survient classiquement le matin au lever mais possiblement aussi au coucher ou au lit, est le plus fréquent des vertiges.
La HAS1 rappelle que "c’est un vertige rotatoire vrai, déclenché par les changements de positions de la tête, durant moins de 60 secondes, associés à un nystagmus, sans signe cochléaire ni neurologique. Il disparaît spontanément dans 30 % des cas sous sept jours. Il implique un ou plusieurs canaux semi-circulaires et provoque différents types de symptômes associés (nausées, vomissements)".
Son traitement repose sur la manœuvre dite "libératoire" de Semont, pratiquée chez un malade allongé et qui va permettre, par des mouvements imprimés de rotations de la tête, de mobiliser les cristaux de calcium bloqués et de les répartir uniformément au niveau de l’oreille interne. Généralement, le soulagement est immédiat mais, dans d‘autres cas, il faut savoir répéter la manœuvre lors d’une ou plusieurs autres séances.
La manœuvre de Dix-Hallpike2 devrait également être connue du généraliste comme de l’urgentiste car elle permet d’affirmer le diagnostic en déclenchant de nouveau le vertige et en permettant d’étudier le nystagmus ainsi déclenché.
Les signaux d'alerte
Le risque, comme nous l’avons vu dans le cas décrit, est de méconnaître l’origine centrale d’un vertige, notamment lorsque ses circonstances d’apparition ne sont pas "typiques" ou que le reste de l’interrogatoire ou de l’examen du patient peut faire naître un doute.
La gravité potentielle pour le patient d’une telle erreur diagnostique justifie le recours à une imagerie - préférentiellement une IRM - et à l’avis d’un spécialiste.
—
Cette conduite à tenir ne se discute pas3 en cas :
- de nystagmus spontané, vertical ou multidirectionnel ;
- de signe neurologique (dont céphalées, diplopie, ataxie, acouphènes, otalgie) ;
- d’un nystagmus vertical ;
- de présence d’au moins 2 facteurs de risques cardiovasculaires.
Les conseils du Comité médical de la MACSF
- Ce diagnostic ne peut être fait qu’après un interrogatoire rigoureux et un examen méthodique et justifie parfois un avis spécialisé.
- La plus grande prudence est à observer, tout doute quant à la nature périphérique du vertige ou situation à risque devant amener à une imagerie.
- Enfin, rappelons qu’en cas de développement médico-légal, une parfaite traçabilité de tous les éléments anamnestiques, cliniques, paracliniques et de la conduite à tenir est exigée, même parfois en cas de simple sollicitation pour "avis".