Les conséquences nosocomiales d'une extraction dentaire
Un patient âgé de 45 ans, sans antécédent médical, était suivi pour pathologie parodontale par son chirurgien-dentiste avec plusieurs dents mobiles devant être extraites. Les Trois premières ont été extraites sans difficulté avec des instruments stériles sans antibiothérapie dans les suites immédiates, conformément aux bonnes pratiques.
Deux jours après, le patient se plaint d'un gonflement palpébral inférieur droit. Il consulte son médecin généraliste à J6, qui le traite pour allergie avec corticothérapie pendant trois jours.
L'état ophtalmologique s’aggravant, le patient se rend le lendemain aux urgences du centre hospitalier général, où il est simplement prescrit une pommade antibiotique avec conseil de voir un ophtalmologiste sous 48 heures. Aucun bilan radiologique n'est fait.
Le patient consulte son ophtalmologiste à J 9 avec un œil très douloureux et une acuité visuelle conservée. Il lui prescrit un collyre antibiocortisonnée et demande à le revoir quatre jours plus tard.
Pour autant, l’état du patient continue à s’aggraver dès le lendemain.
Il se plaint d’une douleur insomniante et d’un œdème palpébral empêchant toute ouverture.
L’ophtalmologiste, revu comme prévu, prescrit alors un bilan radiologique, une échographique et une antibiothérapie per os.
L’imagerie réalisée le lendemain retrouve une tuméfaction orbitaire et de multiples abcès dans un contexte d’ethmoïdite extensive. Le patient est alors hospitalisé avec une exophtalmie de grade 3 et une ophtalmoplégie quasi-totale. L’acuité visuelle est encore conservée avec un réflexe photo moteur présent mais le lendemain il perd toute acuité visuelle et est transféré au CHU pour chirurgie d'évacuation d'un abcès intraorbitaire avec thrombophlébite du sinus caverneux.
La chirurgie du drainage se passe bien avec mise en évidence d'un streptocoque constellatus sans aucune récupération visuelle.
Perte de chance pour défaut d'interrogatoire lors de l'examen du patient
Sans surprise, l'expertise écartera toute responsabilité du médecin généraliste, qui n'avait été consulté qu'une seule fois au début des signes et n’était donc pas en mesure de pouvoir soupçonner une cellulite en cours.
En revanche, la responsabilité de l’ophtalmologiste et celle du centre hospitalier seront retenues.
Le retard de demande d’un bilan radiographique a occasionné une perte de chance de 80 % pour le patient de connaître une évolution favorable de la cellulite orbitaire dont il avait été atteint, si elle avait été traitée plus tôt.
L’expert qualifiera de "regrettable" le fait que le patient n'ait pas bénéficié d'un interrogatoire plus poussé qui aurait permis, à l’ophtalmologiste comme à l’urgentiste du centre hospitalier, de faire le lien entre les soins dentaires unilatéraux et la symptomatologie unilatérale présentée par le patient, évocatrice de cellulite orbitaire suivant une chronologie classique.
A retenir dans cette affaire...
Tout examen clinique bien conduit doit débuter par un interrogatoire,
surtout pour les patients vus en urgence.
Dans le cas précis, plusieurs praticiens sont intervenus : chirurgien-dentiste, médecin généraliste, ophtalmologiste, médecin urgentiste hospitalier et l'absence d'interrogatoire a été préjudiciable avec, malheureusement, une perte de toute acuité visuelle unilatérale responsable d'un déficit fonctionnel permanent partiel de 25 %.