Un rapport amiable transmis en cours d’expertise judiciaire par un médecin conseil
Un homme, victime d'un accident de la circulation causé par un poids-lourd, fait l'objet d'une expertise médicale amiable par le médecin conseil désigné par sa compagnie d’assurances. Le rapport d’expertise est communiqué à la victime elle-même, puis est transmis à la compagnie d’assurances du chauffeur poids-lourd responsable de l’accident.
La victime décide d’abandonner la voie amiable et d’assigner l’assureur du responsable devant le juge des référés, qui ordonne une expertise.
Dans l’ordonnance de référé, il est mentionné que devra être écartée des débats toute pièce médicale détenue par un tiers, et notamment la compagnie d’assurances du responsable, dès lors que la victime n’aura pas donné son accord exprès.
Malgré cela, au cours de la réunion, le médecin-conseil de cet assureur remet le rapport amiable à l'expert judiciaire. La victime fait alors part de son opposition à la production de cette pièce.
Après l’expertise, elle fait citer le médecin conseil devant le tribunal correctionnel, pour violation du secret professionnel.
Après avoir été condamné en première instance, le médecin conseil est relaxé en appel, et la demande d’indemnisation de la victime de l’accident automobile est rejetée.
Cette dernière se pourvoit alors devant la Cour de cassation. Le pourvoi se limite aux intérêts civils.
Que dit la Cour d’appel ?
La Cour d’appel relève que l'expert judiciaire avait pour mission de procéder à l'expertise médicale de la victime, et notamment, "de se faire communiquer par le demandeur ou son représentant légal ou par un tiers avec l'accord de l'intéressé ou de ses ayants droit, tous documents utiles à sa mission".
Le médecin conseil de la compagnie d’assurances du responsable de l’accident était en possession, lors de la réunion d'expertise judiciaire, du rapport médical amiable établi par le médecin conseil de la victime, qui lui avait été transmis par son mandant. Cette possession ne présentait donc aucun caractère illicite.
Sur sollicitation de l’expert judiciaire, le médecin conseil le lui a transmis au cours de l’expertise, mais cette transmission est restée sans effet : la victime ayant immédiatement manifesté son désaccord, l’expert judiciaire s’en est dessaisi sans même en avoir pris connaissance, et s’est engagé à ne pas en tenir compte dans l’établissement de ses conclusions.
Certes, dans l’ordonnance de référé détaillant la mission de l’expert judiciaire, figurait la mention selon laquelle devait être écartée des débats toute pièce médicale détenue par un tiers, sans l'accord exprès de la victime. Mais la Cour d’appel considère qu'il n'est pas établi que le médecin conseil poursuivi, non partie à l’instance en référé, avait eu connaissance de cette précision.
Elle en conclut donc que, compte tenu de cette incertitude, il n’est pas critiquable d’avoir remis à l'expert le rapport litigieux.
La preuve d'une violation du secret professionnel n'est donc pas rapportée.
Que dit la Cour de cassation ?
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, par un arrêt du 16 mars 2021.
Elle rappelle que l'article 226-13 du Code pénal incrimine la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire.
Même en admettant que le médecin conseil de la compagnie d’assurances du responsable n’ait pas eu connaissance de la mission confiée à l’expert et des réserves qui y figuraient quant à la transmission des pièces médicales, il devait, en tant que médecin, professionnel de santé, respecter le secret professionnel.
Il lui était donc formellement interdit de communiquer volontairement à des tiers toute pièce médicale parvenue en sa possession dans l'exercice de sa profession, y compris un rapport d'expertise amiable.
La communication à un tiers d'une pièce médicale couverte par le secret étant par principe interdite, sauf accord exprès et préalable de la personne concernée, le médecin s’est donc rendu coupable de violation du secret professionnel.
Sur le plan pénal, la relaxe est définitive et ne peut donc être remise en question par la cassation. En revanche, sur les dispositions civiles, l’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel pour qu’elle se prononce sur l’existence d’une faute civile à l’origine d’un préjudice pour la victime.
Une solution classique
Le secret médical est général et absolu. Il ne peut être levé qu’avec l’accord du patient.
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Institué dans l’intérêt du patient, il s’impose à tout professionnel de santé, quel que soit le contexte dans lequel ce dernier intervient.
Une pièce médicale ne peut donc être transmise qu’à la condition que le patient ait donné son accord. À défaut, il y a violation du secret médical, peu important par ailleurs que la pièce ait été déterminante, ni même seulement utilisée par celui à qui elle a été transmise.
Cette affaire en est bien l’illustration, puisque l’expert judiciaire s’était engagé à ne pas mentionner le rapport médical litigieux dans ses conclusions.