Partir… mais à condition d’organiser le suivi du patient !
Les exemples de condamnations de médecins pour mauvaise prise en charge due à un départ en vacances un peu "précipité" ne manquent pas :
- La Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 20 avril 1982, la condamnation d’un médecin qui, sur le point de partir en vacances, avait accepté de prendre en charge un patient atteint d’hémiplégie alors qu’il savait qu’il ne pourrait assurer son suivi par la suite. Ce suivi a été confié finalement à un praticien de la clinique qui n’avait pas les compétences requises pour prendre en charge ce type de pathologie.
- Elle a également confirmé, par un arrêt du 14 janvier 1992, la condamnation d’un médecin qui, aussitôt après avoir réalisé une intervention chirurgicale consistant en une greffe de peau, est parti en congés sans laisser de consignes pour la surveillance postopératoire.
- Une cour d’appel, par arrêt du 27 janvier 1994, a condamné un médecin qui, recevant des résultats d’analyses juste avant de partir en vacances, a adressé une lettre banale à sa patiente recommandant de consulter un confrère. Ces résultats révélaient un cancer. La patiente a finalement appris l’existence de ce cancer au retour de congés du médecin, perdant une chance de se faire traiter plus rapidement.
- Une cour d’appel a condamné un chirurgien, par arrêt du 6 février 2004, qui, pour cause de départ en vacances, a refusé d’avancer début juillet un rendez-vous initialement prévu avec le patient le 15 juillet. L’état du patient s’était pourtant fortement aggravé au début du mois de juillet.
- Par jugement du 6 février 2012, un tribunal a condamné un chirurgien-dentiste pour avoir prescrit un simple traitement local pour un greffon "découvert", qu’il aurait fallu déposer immédiatement. Les juges relèvent que le praticien a fermé son cabinet pendant les fêtes de fin d’année, sans préconiser cette dépose par un confrère et sans même proposer d’autres solutions à la patiente que ce traitement local inefficace.
Ces affaires démontrent qu’il peut être risqué de prendre en charge des patients "in extremis" avant un départ en vacances, sans être certain que la continuité des soins pourra être assurée.
Dans ces circonstances, le praticien doit particulièrement veiller à une information complète du patient sur la conduite à tenir et sur les recours dont il dispose en cas de difficulté.
Attention à la communication avec le remplaçant !
Si le fait d’être remplacé permet, en principe, d’éviter une rupture dans la continuité des soins, encore faut-il que le remplacé et le remplaçant se communiquent les éléments importants pour la prise en charge.
Voici plusieurs exemples de condamnation de médecins qui, bien que s’étant fait remplacer lors de leurs congés, se sont vu reprocher une mauvaise organisation engageant leur responsabilité :
- Par arrêt du 31 mai 2005, la Cour de cassation a confirmé la condamnation d’un chirurgien pour avoir accepté de prendre en charge un malade, à la veille de son départ en congés, dans un domaine étranger à sa spécialité. Il a confié ce patient à son remplaçant, lui aussi non compétent dans cette spécialité, sans même le rencontrer. Il n’a pas non plus pris connaissance, à son retour, des analyses qu’il avait prescrites.
- Juste avant son départ en vacances, un médecin prescrit des antibiotiques et des examens de contrôle de coagulation sanguine à une patiente sous traitement anticoagulant, sans lui donner d’informations quant au risque d’hémorragie lié à l’interaction de ces traitements. La patiente décède d’une hémorragie intestinale. La Cour d’appel, par un arrêt du 28 avril 2014, estime que le praticien aurait dû fixer un rendez-vous de contrôle à la patiente avec son remplaçant, et laisser à celui-ci des consignes quant à sa prescription.
- En plein mois de juillet, une patiente de 88 ans sort d’un centre de rééducation après une fracture du col fémoral et consulte son médecin traitant, sur le point de partir en vacances. Celui-ci prescrit un traitement anticoagulant et un dosage d’INR pour la semaine suivante. Par la suite, son remplaçant augmente la dose de traitement anticoagulant puis, quelques jours plus tard, néglige la survenue d’épistaxis pour lesquels il prescrit un traitement curatif. L’état de la patiente se dégrade, jusqu’à aboutir à son décès d’une anémie due à un excès d’anti vitamine K. La Cour d’appel, par un arrêt du 13 novembre 2014, condamne le remplaçant pour prise en charge fautive mais considère aussi que le médecin remplacé n’a pas organisé son remplacement dans des conditions permettant au remplaçant de suivre correctement la patiente, qu’il ne connaissait pas et dont il n’avait aucune information récente sur son état de santé. Dans le cas de cette patiente âgée et atteinte de multiples pathologies, il aurait dû fournir à son confrère des éléments plus précis. Dans le cadre de la procédure ordinale engagée parallèlement, il a par ailleurs été reproché au remplacé de ne pas avoir communiqué son numéro de téléphone à son remplaçant pendant ses congés, afin de rester joignable en cas de difficulté.
Il est donc fortement recommandé de veiller à communiquer à son remplaçant tous les éléments nécessaires à une prise en charge optimale : mise à disposition des dossiers des patients, et surtout signalement de toute situation un peu particulière afin que le remplaçant dispose du maximum d’informations.
Enfin, sauf impossibilité, il est souhaitable que le professionnel de santé remplacé communique au remplaçant un moyen de le joindre en cas de difficulté particulière.
Et quand c’est le patient qui part en vacances ?
Le praticien doit prendre garde à ne pas se laisser influencer par des impératifs liés aux dates de congés de ses patients.
Ceux-ci peuvent en effet choisir de repousser des soins à leur retour ou, au contraire, de précipiter des soins avant leur départ.
Si le médecin estime que cela fait courir un risque, il doit refuser de faire droit à ce type de demandes.
S’il estime que les soins peuvent attendre le retour de congés du patient, il doit être particulièrement vigilant et ne pas omettre de lui fixer un rendez-vous.
- Par exemple, un ophtalmologiste a été condamné à indemniser un patient victime d’une aggravation de son état du fait d’un long délai de prise en charge de sa pathologie : le patient avait consulté au tout début du mois de juillet pour la perception de taches noires et une diminution de son acuité visuelle. Après examen, le praticien l’a autorisé à partir, comme prévu, à l’étranger, dont il est revenu en août, mais sans lui fixer de rendez-vous à son retour. La symptomatologie s’étant aggravée, le patient a consulté à la fin août un autre ophtalmologiste qui a constaté un décollement de rétine avec déchirure et l’a opéré. D’autres complications successives ont abouti à une baisse très importante de l’acuité visuelle.
Par un arrêt du 16 septembre 2011, la cour d’appel a condamné l’ophtalmologiste à réparer les préjudices du patient, considérant qu’il n’aurait pas dû se contenter d’une référence vague à un "éventuel rendez-vous" après les vacances, mais fixer un rendez-vous précis. La cour estime par ailleurs que l’état du patient, lors de la consultation de juillet, devait inciter le praticien à l’informer de la nécessité d’un suivi plus rapproché qui ne permettait pas forcément d’attendre l’issue des vacances à l’étranger…
Enfin, le praticien qui exerce dans une zone touristique peut être amené à prendre en charge des patients en villégiature, qu’il ne connaît donc pas.
Là encore, la vigilance s’impose : il est souhaitable de bien s’enquérir des antécédents des patients, mais aussi de constituer un dossier, même pour une personne de passage.
Un patient en vacances peut toujours se transformer en plaignant !