L'expertise médicale : quels enjeux ?
Tous les professionnels de santé, en particulier lorsqu’ils exercent leur activité à titre libéral1, peuvent voir un jour leur responsabilité recherchée à l’occasion de la prise en charge d’un patient. Cette mise en cause débute par une mesure d’instruction : une expertise médicale.
Le premier réflexe du professionnel de santé doit être de déclarer ce sinistre à son assureur en responsabilité civile professionnelle. Non seulement car il s’agit d’une obligation légale susceptible de conditionner la garantie d’assurance2, mais surtout pour permettre d’organiser au mieux la défense, qui requiert la combinaison de compétences médicales et juridiques.
L’objet de l’expertise sera de dire si l’acteur de santé ou de soin a donné des soins conformes ou non aux données acquises de la science médicale, mais aussi s’il existe une imputabilité entre un éventuel manquement et l’état séquellaire du patient.
Aussi une expertise médicale est susceptible d’être mise en œuvre :
- ou bien à titre purement amiable, sur décision volontaire des parties (des assureurs) en dehors de toute procédure ;
- ou bien dans le cadre d’une procédure initiée par le patient devant un Tribunal ou une Commission de Conciliation et d'Indemnisation des Accidents Médicaux (CCI).
La phase préparatoire : mobilisation du praticien, du médecin conseil et de l'avocat spécialiste
- La première étape consiste à fournir, exclusivement à l’assurance l’ensemble des éléments médicaux sur la prise en charge. Le professionnel de santé doit s’abstenir de fournir des pièces directement à l’expert ou à la partie adverse3. Il convient en effet de souligner qu’en contrepartie de sa garantie, l’assureur dispose du pouvoir de "direction du procès". C’est donc l’assureur qui décide des pièces à communiquer et du choix du médecin conseil ainsi que de l’avocat spécialiste.
- La deuxième étape est de faire le point avec le ou les conseil(s) désigné(s) par l’assurance pour assister le professionnel de santé au cours des opérations d’expertise : il s’agira au minimum d’un médecin conseil de même spécialité et/ou d’un avocat spécialiste en Droit de la Santé.
L’objectif est d’aborder ensemble le déroulement de la réunion d’expertise à venir, les points forts et éventuelles faiblesses du dossier, afin d’arrêter une ligne de défense médico-légale.
Attention, si la discussion médicale est prépondérante en expertise, les éléments juridiques confiés à la sagacité des avocats spécialisés ont, aussi, toute leur importance :
- obtenir des pièces nouvelles des parties adverses, notamment sur l’état antérieur ou l’intervention d’un autre membre de l’équipe médicale ;
- vérifier l’organisation des soins par un établissement de santé ;
- exiger de l’expert de fonder son avis sur des données médicales reconnues et publiées (débat aléa/faute ) ;
- replacer les débats dans le régime juridique applicable : faute prouvée, faute présumée, solidarité nationale…
Le déroulement de la réunion d'expertise
La réunion d’expertise se déroule en principe en 3 étapes : l’anamnèse, l’examen médical, et la discussion médico-légale.
L'anamnèse
Elle a pour objet de retracer l’ensemble de l’historique de la prise en charge médicale du patient en lien avec la réclamation, y compris les antécédents, la prise en charge antérieure, postérieure, ou concomitante par d’autres professionnels de santé, si ces faits sont utiles à la mission d’expertise.
L’un des chefs de mission essentiels assigné à l’expert est d’entendre les parties (sauf expertise sur pièces) et de recueillir leurs observations.
Ainsi, l’oral joue un rôle important lors des réunions d’expertise, en complément des éléments de preuve écrits tels que le dossier médical et infirmier. Cette étape nécessite la participation la plus active du professionnel de santé mis en cause.
La majorité des experts sont assez directifs et vont eux-mêmes retracer oralement la prise en charge à partir des pièces qui leur auront été préalablement transmises, en invitant les parties à faire part de leurs observations si elles ne sont pas d’accord avec cet exposé, et en sollicitant de manière ponctuelle les différentes parties pour répondre à ses interrogations. D’autres experts donnent plus largement la parole aux parties. L’essentiel est de pouvoir exprimer son point de vue, dans le respect du principe du contradictoire.
En fonction des problématiques des dossiers, de manière non exhaustive, les questions de l’expert peuvent porter par exemple sur des précisions quant à un examen clinique, l’information sur les risques, une technique opératoire, la justification d’une démarche diagnostique ou thérapeutique… D’où l’importance de la phase préparatoire pour cibler ces questions et préparer une réponse en concertation avec le médecin conseil et l’avocat spécialiste.
Les dires des parties peuvent éventuellement diverger dès ce stade, par exemple sur la présence d’un signe clinique ou la consistance de l’information délivrée. Dans ce cas, le professionnel de santé doit veiller, avec ses conseils, à ce que son point de vue soit bien consigné par l’expert.
L'examen médical
Il a pour objet essentiel de décrire de manière objective l’état de santé actuel du patient. Les constatations de l’expert vont servir à éclairer la discussion médico-légale, non seulement sur l’évaluation des préjudices mais également parfois sur des questions de responsabilité.
L’examen médical est ouvert aux parties et aux conseils médicaux, mais la participation des professionnels de santé mis en cause est facultative, surtout si leur médecin conseil assiste déjà à l’examen.
La discussion médico-légale
Elle a pour objet d’échanger les points de vue sur les questions posées par la mission d’expertise.
Si les deux premières étapes de la réunion d’expertise se voulaient objectives, cette dernière étape est plus subjective, dans la mesure où l’expert est appelé à trancher des questions médico-légales sur lesquelles les parties ont, par construction, des points de vue opposés4…
Pour simplifier, les débats portent généralement sur :
- la conformité de la prise en charge aux données de la science médicale ;
- les conséquences d’un éventuel manquement en termes de préjudices (lien de causalité) ;
- l’évaluation des préjudices. En effet, il faut bien garder à l’esprit qu’en termes de responsabilité professionnelle, un manquement grave peut n’avoir aucune incidence sur l’évolution de l’état de santé du patient, tandis qu’un petit manquement, quasiment excusable, peut entraîner des préjudices très élevés.
Cette étape stratégique est menée par les conseils du professionnel de santé, qui maitrisent les aspects médico-légaux et juridiques, même si ce dernier est susceptible de participer ponctuellement à la discussion.
Au terme de la discussion médico-légale, l’expert livre en général oralement un premier avis aux parties présentes sur les questions qui lui sont posées par la mission d’expertise, avant de rédiger son rapport d’expertise.
Que se passe-t-il après la réunion d'expertise ?
Selon les procédures, une étape intermédiaire peut être prévue entre la réunion et le dépôt du rapport d’expertise : le pré-rapport.
Le pré-rapport d'expertise
Cette étape permet de prolonger la discussion médico-légale et de renforcer le caractère contradictoire de l’expertise, puisqu’elle ouvre la possibilité aux parties d’adresser en réaction aux conclusions du pré-rapport des observations écrites ("dire"), auxquelles l’expert sera tenu d’apporter une réponse dans son rapport d’expertise définitif.
Ce peut être l’occasion, à titre d’exemple, d’attirer l’attention de l’expert sur de la littérature médicale, sur une recommandation de la Haute Autorité de Santé, voire sur une jurisprudence en Droit de la Santé.
Le professionnel de santé qui souhaiterait réagir au pré-rapport est invité à faire part de ses observations à ses conseils, et c’est l’assureur qui décidera, en concertation avec le médecin conseil et l’avocat spécialiste, s’il est opportun d’adresser un dire. Un échange constructif interviendra encore à ce stade.
L'avis expertal
En pratique, nous rencontrons trois cas au moment du dépôt du rapport d’expertise médicale :
- dans plus d’un cas sur deux, l’acteur de santé est mis hors de cause au plan médical ;
- dans 20 à 30 % des cas, un manquement professionnel est retenu, expliquant totalement ou partiellement le préjudice de la victime ;
- et enfin dans 20 % des cas l’avis expertal est incertain, voire inexploitable.
Dans les cas où un grief est retenu à l’encontre d’un professionnel de santé, l’assureur, après avoir recueilli le sentiment de l’équipe pluridisciplinaire constituée pour sa défense, propose :
- soit un accord amiable,
- soit de recourir aux juridictions pour trancher la question de la responsabilité professionnelle, surtout en présence de victimes de mauvaise foi, ou réclamant des indemnisations hors de proportion avec les dommages subis.
Notes
1- Les agents publics et salariés seront dans la grande majorité des cas couverts par la responsabilité civile de leur employeur, mais il peut subsister des hypothèses de responsabilité individuelle en cas de faute détachable du service, d’agissement en dehors de la mission confiée par l’employeur ou encore en matière pénale, qui ne seront pas abordées dans cet article.
2- En cas de retard de déclaration préjudiciable à l’assureur, l’assuré risque de se voir opposer une déchéance de garantie, voir les dispositions de l’article L.113-2 du Code des assurances.
3- sauf demande officielle de communication du dossier médical par le patient.
4- même s’il arrive régulièrement que la victime n’ait aucun grief particulier à formuler contre les professionnels de santé mis en cause, surtout lorsqu’elle recherche une indemnisation au titre de la solidarité nationale.