La responsabilité professionnelle vue par les internes : le témoignage d'un interne orthopédiste

L’internat est une sorte de cocon à l’intérieur duquel nous sommes interpellés par les assureurs sur ces risques, dans le cadre de campagnes e-mailing, de congrès ou d’offres commerciales. Mais on ne se soucie pas vraiment des garanties que contiennent ces offres et ces packages. Nous y sommes généralement plus attentifs au moment de l’installation, par exemple en clinique, où les aspects financiers et juridiques deviennent vite plus concrets et plus tangibles…

Mais cette nécessité de l’assurance professionnelle n’est pas innée chez les internes. La majorité n’a pas conscience de cela. D’où l’importance de les informer et les sensibiliser régulièrement à cet égard.

Nous vivons actuellement en France un tournant, qu’ont connu les Etats-Unis il y a plusieurs années et que nous n’avons pas encore pleinement intégré. En France, les internes commencent seulement à prendre conscience qu’ils sont responsables et qu’il peut leur être reproché de ne pas avoir accompli telle ou telle tâche, tandis qu’aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, ce risque et cette dimension font partie intégrante du quotidien des internes.

Nous sommes conscients de l’importance de remplir correctement les dossiers médicaux et de respecter les données personnelles des patients. Cette notion est fondamentale ; elle nous a été enseignée, mais est, à mon sens, insuffisamment prise en considération. Actuellement, le risque médical est perçu par les internes essentiellement au travers des éventuelles erreurs qu’ils peuvent commettre (erreur de dosage ou de prescription, courbe d’apprentissage des gestes chirurgicaux…) et non par rapport au vécu du patient et au respect de sa vie privée, alors qu’aux Etats-Unis, la violation du secret médical, par exemple, est considérée comme une atteinte grave.

La responsabilité médicale est large et il me semble qu’il existe actuellement un fossé important entre ce que vivent les internes et leur connaissance des risques et de la responsabilité qu’ils encourent.

Oui, en sachant que l’on évolue de plus en plus vers une médecine de résultat, perçue comme un service par une majeure partie de la population. De fait, les patients attendent des résultats fiables et reproductibles et nous devons nous adapter à cette évolution : répondre à la demande de transmission du dossier médical, être totalement transparents sur les choix médicaux qui ont été faits, faire face à un dépôt de plainte de la part d’un patient.

Autant d’éléments qui posent la question de savoir jusqu’à quel point les internes, qui ne sont pas encore des médecins certifiés, peuvent entrer dans la décision et la pratique médicales. A cet égard, il existe sans doute un manque de clarté pour les internes quant à leur niveau de responsabilité et leur habilitation à accomplir certains actes. Un flou subsiste en dépit des enseignements qu’ils reçoivent en faculté sur ces aspects médicolégaux.

A mon sens non, car ce choix reste assez sacerdotal en France ; les considérations légales n’ont pas pris l’ascendant sur cet aspect. Par ailleurs, d’autres considérations entrent en ligne de compte, comme la rémunération et la gratification que l’on peut retirer de l’exercice de telle ou telle spécialité.

La question de la responsabilité encourue n’est donc pas un élément qui vous a freiné lorsque vous avez choisi l’orthopédie, qui est pourtant l’une des spécialités dans lesquelles les mises en cause sont les plus nombreuses. 

Aucunement. Probablement du fait d’une méconnaissance de ce risque au départ. Mais, même une fois conscient de ce risque et de l’impact psychologique que représente l’ouverture d’une procédure de sinistre, il faut savoir que ces situations restent relativement peu nombreuses à l’échelle d’une carrière.

L’interne subit, par ricochet, la pression exercée par les organismes de certification et les administrations sur les chefs de service, pour que les dossiers médicaux soient les plus exhaustifs possibles (courriers, suivi écrit, formulaires…). Ces éléments sont davantage liés à une exigence de certification de ces organismes qu’à une véritable conscience du risque médicolégal.

Oui. Les techniques chirurgicales ont considérablement évolué avec des résultats de plus en plus satisfaisants, une survie plus longue des implants et moins de complications. Par conséquent, une intervention pleinement satisfaisante est faisable et même si le risque existe, il est moindre, grâce à des données scientifiques de plus en plus connues, et des internes de mieux en mieux formés, plus professionnels dans leur manière d’appréhender la médecine basée sur les preuves. Parallèlement les patients s’informent davantage et voient cette amélioration de la prise en charge. La relation médecin patient évolue et sera certainement plus transparente à l’avenir. Nous devrons justifier l’utilisation de telle technique plutôt qu’une autre, en nous appuyant sur la littérature existante.

Les internes ont un sentiment de protection dans les hôpitaux du fait de la responsabilité administrative, qui constitue une couverture à de nombreux égards. Par ailleurs, lorsque les internes se sentent dépassés sur certaines décisions, ils auront plus naturellement recours au senior. On leur a enseigné, de plus en plus, leurs limites et favorisé une « séniorisation » des décisions.