Pouvez-vous nous décrire la mission AMAVI de l'APHP que vous dirigez ?
Dr Marie Borel : Je suis anesthésiste-réanimateur et praticien hospitalier à la Pitié-Salpêtrière, grand hôpital au sein de l’APHP. L'APHP est l'établissement de santé régional de référence pour de nombreux risques, dont le risque AMAVI (Afflux Massif de Victimes). Depuis environ 10 mois, je suis détachée à mi-temps pour collaborer avec l’ARS à l'animation du risque AMAVI sur toute l’IDF.
Quelles sont vos principales responsabilités dans ce cadre ?
Mes responsabilités consistent à :
- l’accompagnement de l'ARS dans la rédaction des éléments de doctrine pour guider la région dans sa gestion quotidienne du risque AMAVI, en collaboration étroite avec les professionnels de la santé d’Île-de-France ;
- la création et l'animation d'un réseau de professionnels experts dans la région, afin de capitaliser sur les compétences disponibles ;
- l'élaboration de contenus pédagogiques et d'enseignement axés sur l'afflux massif de victimes, dans le but de renforcer les compétences et la préparation des acteurs de santé.
Intervenez-vous dans le cadre des CESU ?
Les CESU sont des centres d'enseignement des soins d'urgence ; ils font partie du dispositif AMAVI. Acteurs prioritaires dans les enseignements, leur structuration varie d'une région à l'autre.
Nous œuvrons à faire collaborer tous les CESU en agissant au niveau régional. Ainsi, chaque CESU peut bénéficier des avancées des autres. Cela favorise une certaine homogénéisation des moyens disponibles.
Les missions AMAVI sont-elles spécifiques à l'Île-de-France ?
Actuellement, dans chaque région, il existe des établissements régionaux de référence. Ils disposent de temps médicaux et paramédicaux détachés auprès de l’ARS. Cela vise à assurer une activité similaire.
Existe-t-il une coordination entre régions ?
Ce n’est pas le cas actuellement mais cette coordination est prévue dans les années à venir. En effet, il y a des spécificités régionales, en termes de densité de population par exemple… Cependant, il y a des éléments que nous pourrons partager activement dans le cadre d'un réseau national.
Chaque établissement est-il doté d'un référent AMAVI ?
Chaque établissement dispose d'un directeur médical de crise dont le rôle est d'aider le directeur d'établissement et la cellule de crise à réorganiser l'hôpital pour faire face à un afflux de patients.
Selon la taille de l'établissement, plusieurs médecins peuvent se voir attribuer cette fonction. Ainsi, dans les plus grands établissements, il y a toujours quelqu'un en permanence.
Comment le plan est-il activé dans le cas d'un effondrement de tribune par exemple ?
Dans le cadre de l'afflux massif de victimes, le scénario le plus probable est celui d'un événement majeur, activant ainsi le plan préfectoral ORSEC (Organisation de la Réponse à la Sécurité Civile) spécifique à l’Île-de-France.
Ce plan, axé sur les nombreuses victimes, mobilise différents acteurs de la sécurité civile (militaires, policiers, pompiers).
En parallèle, le plan ORSAN et la structuration des systèmes de santé entrent en jeu pour prendre le relais. Il y a donc une véritable imbrication entre les deux plans.
Le SAMU joue un rôle majeur car, dans les premières préoccupations, outre l'envoi de secours sur le lieu de l'incident, il est crucial de trouver des places disponibles.
Ainsi, lorsqu'ils alertent les établissements concernés via des numéros dédiés, ils informent également sur l'arrivée imminente d'un afflux de patients et demandent de signaler les places disponibles.
Lorsqu'un événement majeur survient dans la région Île-de-France, l'alerte est déclenchée, que ce soit par le SAMU ou par l'ARS, en fonction de la situation géographique.
Cette alerte est transmise à l'ARS qui mobilise l'ensemble des hôpitaux via chaque direction.
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Quid des personnels de santé qui se portent volontaires en cas d'afflux de blessés ?
Il revient au directeur médical de crise et à la structure hospitalière de déterminer qui est déjà présent et formé sur place. On évalue les renforts disponibles, en s'assurant de leur qualité et de leurs compétences, puis on décide de les intégrer ou non au dispositif.
L'origine des renforts est également importante : il peut s'agir de personnes ayant déjà travaillé dans l'établissement, ou provenant du secteur privé ou public.
Dans notre hôpital, comme dans d'autres, de nombreux professionnels ont une connaissance approfondie de nos structures et se portent volontaires pour aider. Il est donc possible de les intégrer, mais cela doit être fait de manière réfléchie.
Il est important de maintenir un équilibre dans le nombre de personnes mobilisées pour assurer un fonctionnement efficace.
La structuration du plan est donc d'une importance capitale.
Comment garantir une prise en charge rapide en situation d'urgence ?
En cas d'événement particulier générant un afflux massif de victimes, nous appliquons une démarche de type damage control, qui consiste à prodiguer uniquement les soins essentiels pour stabiliser et assurer la survie des patients. Cette doctrine de soins implique une adaptation de nos pratiques réanimatoires et chirurgicales.
Au quotidien, nous l'appliquons déjà pour les cas les plus graves, afin de minimiser le temps passé au bloc opératoire et de prioriser les gestes vitaux essentiels.
En situation sanitaire exceptionnelle, cette approche peut être étendue à tous les blessés, permettant ainsi de garantir une prise en charge rapide des cas les plus critiques.
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Cette approche collective permet de sauver un maximum de vies.
C'est là tout l'enjeu de la dynamique ORSAN : assurer les gestes de sauvetage immédiats, puis organiser la réparation définitive et l'aiguillage vers les bonnes structures en cas de dépassement des capacités initiales.
L'idée est d'avoir un flux continu pour accueillir les blessés, les stabiliser, et ensuite organiser les transferts si nécessaire.
Comment se fait le choix entre la proximité géographique et la spécialité de service ?
Pendant les événements exceptionnels, tous les services hospitaliers se mettent à disposition de l'événement, facilitant ainsi la gestion des patients, même ceux qui pourraient être plus difficiles à déplacer.
Les chirurgiens généraux, les chirurgiens thoraciques, les anesthésistes-réanimateurs et les urgentistes sont formés pour faire face à des situations d'urgence, même si ce n'est pas leur spécialité quotidienne.
La collaboration entre les services et une structuration globale permet de réagir efficacement aux événements imprévus et de s'adapter en temps réel.
Les hôpitaux anticipent-ils les besoins médicaux lors des Jeux Olympiques ?
Les Jeux Olympiques ont leurs propres dispositifs de santé spécifiques en fonction des différents sites et des structurations médicales pour les athlètes.
Parallèlement, les structures hospitalières s'adaptent et anticipent la potentielle fréquentation inhabituelle des établissements de soins pour ce type d'événement.
Cela se traduit par une augmentation des capacités d'accueil dans les hôpitaux de l'APHP, avec plus de salles de bloc, de lits de réanimation et d'hospitalisation, de SAMU/SMUR ouverts qu'habituellement.
En cas d'afflux massif de victimes, envisagez-vous la possibilité de faire appel à des ressources extérieures à l'Île-de-France ?
Une coordination à l'échelle régionale nous permet de surveiller le nombre de blessés pris en charge et d'anticiper les actions à prendre en fonction de nos capacités d'accueil.
L'Île-de-France dispose de nombreuses ressources et nous sommes sur un niveau d'alerte élevé pour parer à toute éventualité.
Néanmoins, si ces moyens s'avéraient insuffisants, une collaboration extrarégionale, voire nationale, serait envisageable tant au niveau préhospitalier qu'hospitalier.
Des cellules de soutien psychologique sont-elles prévues ?
Nous avons mis en place une organisation impliquant des psychologues et des psychiatres pour apporter un soutien aux patients, aux familles et au personnel médical.
S'agissant notamment du personnel impliqué dans des situations exceptionnelles, je suis convaincue que, lorsque nous nous mobilisons de manière exceptionnelle, il est essentiel d'avoir des espaces de débriefing et de prendre en compte la charge émotionnelle. Sinon, cela pourrait être traumatisant. C'est absolument nécessaire et prévu.
Il est essentiel de disposer de dispositifs adéquats et de promouvoir activement leur utilisation. À chaque fois que j'ai l'occasion d'en parler, je souligne l'importance du soutien du personnel.
J'espère ainsi semer des graines positives en encourageant chacun à agir et à prendre soin de lui-même et de ses collègues afin de pouvoir faire face à de nouvelles situations similaires à l'avenir.