Un accident grave lors d’un match professionnel de rugby
Un patient pratique le rugby à XV depuis l'âge de 5 ans et a été joueur professionnel, au poste de pilier, au sein de différents clubs.
Le 7 août 2009, alors qu'il évolue en tant que professionnel au sein de l’un de ces clubs, il est victime d’un accident du travail. Deux hernies discales en C5-C6 et C6-C7 nécessitent, en septembre 2009, une opération chirurgicale suivie d'une période de rééducation de plusieurs mois.
Le 7 janvier 2010, selon un certificat final d’arrêt de travail, il est considéré comme consolidé avec séquelles et autorisé à reprendre l’entraînement et la compétition, sans restriction.
Parallèlement, le patient sollicite, à la suite de son accident du travail de 2009, la mise en œuvre de la garantie de prévoyance souscrite par son club et fait l'objet de deux expertises amiables contradictoires. Les médecins co-rédacteurs du rapport d’expertise concluent le 26 septembre 2012 à :
- une consolidation au 22 août 2012,
- une AIPP de 7 %,
- une poursuite possible, sans réserve, de la carrière de joueur de rugby professionnel.
La Sécurité sociale accorde de son côté au patient un taux d’incapacité permanente de 10 % à compter du 10 avril 2012.
Il poursuit sans incidents sa carrière de joueur professionnel au sein de son club avant d'être recruté par un club de ligue Fédérale 1. C'est dans le cadre de ce dernier recrutement qu’il consulte un médecin généraliste et médecin du sport, le 18 juillet 2013. Celui-ci, après examen, lui délivre un certificat de non contre-indication à la pratique du rugby en compétition à un poste de 1re ligne.
Le 29 septembre 2013, lors d’un match, il est victime d’un accident suite à l'effondrement d'une mêlée.
Il lui est diagnostiqué d'emblée une tétraplégie flasque.
La procédure
Une expertise est réalisée et conclut, le 10 février 2016 :
"Le blessé présentait, dans les suites d'une intervention chirurgicale du 24/09/2009 intéressant les niveaux C5-C6, C6-C7, un enraidissement cervical et un syndrome neurologique déficitaire sensitif et moteur dans le territoire C7 droit avec une amyotrophie du triceps, du pectoral et épisodes de névralgie cervico-brachiale persistant et récidivant aux efforts.
Du fait de cet état antérieur, il présentait une modification significative des conditions d'aptitude à la pratique du rugby qui nécessitait un avis spécialisé en vue de la reprise éventuelle du rugby ; usuellement, cet avis comporte deux volets :
- une visite spécialisée afin de déterminer les séquelles suite aux accidents antérieurs permettant d'établir une codification selon la LNR ;
- un avis éventuel du médecin de prévention si le joueur était salarié de son club.
L'ostéosynthèse cervicale basse, lors du traumatisme du 29/09/2013, n'a pas été mobilisée, mais du fait de l'enraidissement et des contraintes mécaniques, la luxation grave avec un grand déplacement de niveau C3-C4 s'est effectuée à un étage inhabituel qui est exceptionnellement retrouvé lors des accidents de mêlée...".
Une indemnisation est versée par l’assurance à l’issue du dépôt du rapport d’expertise, limitée aux garanties contractuelles.
Sur la base de ce rapport d’expertise, le patient assigne le médecin qui a délivré le certificat en 2013 afin d’obtenir une réparation intégrale de son préjudice.
Il soutient que le praticien, compte tenu des antécédents médicaux, n'aurait jamais dû délivrer de certificat de non contre-indication à la pratique du rugby en compétition, ce qui aurait permis d'éviter l'accident survenu le 29 septembre 2013.
Une absence de faute dans la délivrance du certificat de non contre-indication
Selon le jugement, "il ressort des pièces du dossier que Monsieur X n’est pas venu consulter le docteur M dans le cadre d’une demande de soins ni même d’une démarche diagnostique mais afin d'obtenir un certificat de non contre-indication à la pratique du rugby en compétition à un poste de première ligne...
Une liste des contre-indications à la pratique du rugby est dressée dans l’annexe 1 au Règlement médical de la FFR... Or, Monsieur X ne présentait aucune de ces contre-indications, comme le démontrent les IRM réalisées en septembre et novembre 2012...
Monsieur X ne verse en définitive aux débats aucune pièce médicale indiquant qu'en juillet 2013, il présentait une pathologie de nature à justifier une contre-indication à la pratique du rugby professionnel.
Au contraire, l'ensemble des pièces médicales produites devant le tribunal démontrent que lorsque Monsieur X est examiné par le Docteur M, en juillet 2013, il a déjà été considéré à plusieurs reprises et par différents praticiens comme apte à pratiquer le rugby en compétition au niveau professionnel, et ce, en dépit des séquelles liées à son accident du travail de 2009 et d'un taux d’incapacité de 10 %...
Ainsi, lorsque Monsieur X est examiné par le Docteur M, en vue d'intégrer un club amateur, son état de santé au niveau du rachis cervical, n’évoluait plus depuis a minima le 22 août 2012, et il poursuivait sans incidents une carrière professionnelle à un niveau supérieur à celui qu'il avait l'intention d'intégrer...
En conclusion, en considération de l'ensemble de ces éléments, le 18 juillet 2013, le Docteur M, qui s'est conformé en tous points à ce que la réglementation du sport préconise, et dont l'examen clinique pratiqué, à la lumière des déclarations du patient, consignées dans le questionnaire, n'a révélé aucun symptôme apparent préoccupant, n'avait aucune raison objective de ne pas délivrer de certificat de non contre-indication.
Aucune faute ne peut donc être retenue à l'encontre du docteur M. et sa responsabilité ne peut être engagée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'existence ou non d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice, ni de statuer sur la liquidation de ce dernier...
Un appel a été introduit par la partie demanderesse à l’issue du jugement rendu en première instance. Une nouvelle expertise médicale avant dire droit a été ordonnée par la Cour d’appel, non réalisée à ce jour.
Les recommandations de la MACSF
La rédaction d’un certificat médical de non contre-indication à la pratique d’un sport n’est pas anodine et peut engager la responsabilité de son auteur.
Il convient d’être vigilant et de :
- tracer les antécédents médicaux, chirurgicaux ou traumatiques et toutes les constatations de l’examen clinique ;
- se conformer aux recommandations de la fédération sportive pour laquelle ce certificat est établi ;
- ne pas hésiter à recourir à un avis spécialisé, voire des examens complémentaires en cas de doute ;
- ne pas hésiter à renvoyer vers un médecin du sport ou, dans certains cas, vers les médecins agréés par la fédération sportive.
Crédit photo : GEORGE & JUDY MANNA / BSIP