Des appels répétés… qui n’aboutissent pas
Une patiente se fait poser un stérilet par une gynécologue. Dans les suites, elle ressent de fortes douleurs et constate des saignements abondants.
Elle contacte le cabinet de son praticien à sept reprises en quinze jours. Certains de ses appels aboutissent à un répondeur, d’autres lui permettent d’exposer son problème, mais toujours par l’intermédiaire de la secrétaire de la gynécologue, qui promet d’informer le praticien mais ne donne aucune conduite à tenir.
Près de trois semaines après la pose du stérilet, la symptomatologie persiste et la patiente se déplace au cabinet, où elle est reçue par la secrétaire qui lui remet une ordonnance d’antispasmodiques - que la gynécologue avait préparée à son intention suite aux appels précédents - et lui fixe un rendez-vous pour le surlendemain.
Lors de cette consultation et après échographie et analyse sanguine ordonnée en urgence, une grossesse extra-utérine est diagnostiquée. La patiente subit, le jour même, une intervention chirurgicale consistant en l'ablation de l'ovaire et de la trompe.
La patiente assigne la gynécologue.
Une prise en charge défaillante des appels téléphoniques
Un jugement du 15 octobre 2013 retient l'existence d'une faute du médecin et la condamne à indemniser 75 % des conséquences des troubles psychiatriques présentés, jugés directement en lien avec la perte de confiance en sa gynécologue.
La faute du médecin ne réside pas dans la pose du stérilet, réalisée dans les règles de l’art, ni dans la prise en charge lorsque la grossesse extra-utérine a été diagnostiquée. Elle est en revanche constituée par la gestion de la période entre la pose et le diagnostic, qui a duré trois semaines. En particulier, une organisation défaillante de la prise en charge des appels téléphoniques est pointée.
La gynécologue décide d’interjeter appel de ce jugement. Elle avance pour sa défense que les contraintes de son emploi du temps ne lui permettent pas de répondre directement aux appels téléphoniques de ses patientes au cours de sa journée de travail. Mais la secrétaire qui reçoit les appels sort les dossiers de celles qui ont appelé et le praticien les consulte pour apporter une solution. Elle indique également que son répondeur invite les patientes à consulter directement leur médecin traitant ou à se rendre à l’hôpital en cas d’urgence.
La Cour d’appel, par un arrêt du 1er mars 2016, confirme le jugement de première instance. Elle constate que le système mis en place n'a pas fonctionné correctement : malgré des heures d’appel différentes, la patiente est souvent tombée sur un répondeur ne détaillant pas la marche à suivre en cas d’urgence. Lorsqu’elle a finalement eu la secrétaire en ligne, jamais ces appels n’ont débouché sur une réponse appropriée.
Le nombre d’appels successifs trahissait indiscutablement une inquiétude persistante de la patiente qui ne pouvait être laissée sans réponse.
Pour autant, il ne peut être reproché à cette dernière de ne pas s’être rendue aux urgences, dès lors que, les rares fois où elle a réussi à joindre la secrétaire, celle-ci n’a jamais considéré la situation comme relevant d’une urgence et n’a jamais prodigué de conseils en ce sens.
Que retenir de cette affaire ?
Il n’est pas critiquable, en soi, de filtrer les appels de patients. Au contraire, cela évite d’interrompre une consultation en cours au risque, pour le patient présent, d’en gêner le déroulement et, pour le patient appelant, de trahir le secret médical. Sans compter le retard que de telles interruptions peuvent faire prendre sur le planning de rendez-vous du médecin.
Mais des précautions doivent être prises pour éviter des situations telles que celle décrite dans cette affaire.
Si le filtrage est fait par un secrétariat (et surtout s’il s’agit d’une plateforme située dans un lieu distinct du cabinet) :
- Le médecin doit évaluer la confiance qu’il peut lui accorder pour effectuer un tri des appels.
- Il doit laisser des consignes précises quant au type d’appel à lui transmettre impérativement, notamment en fonction de l’urgence ressentie par le patient et par le secrétariat.
- Dès lors que la secrétaire s’est engagée à ce que le patient soit rappelé, il faut impérativement tenir cette promesse, soit à la fin de la consultation en cours s’il y a un contexte d’urgence, soit en fin de journée si la situation peut attendre.
- La consigne peut être donnée de noter tout appel, afin d’en conserver la trace, à plus forte raison si l’appel débouche sur une modification de traitement ou un conseil de prise en charge.
- Les consignes peuvent exclure de répondre à un appelant qui n’est pas un patient habituel du cabinet, dont on ne connaît pas les antécédents, et prévoir de le renvoyer vers son médecin ou vers les urgences si la situation l’exige.
- Il peut être utile de définir, quand cela est possible, des créneaux au cours desquels les patients pourront joindre directement le praticien.
En cas d’utilisation d’un répondeur, il est conseillé :
- De ne pas s’engager sur le message à rappeler systématiquement, cette promesse ne pouvant être toujours tenue.
- De donner une marche à suivre, en communiquant les numéros d’urgence, les horaires précis d’ouverture du cabinet et des prises de rendez-vous. La simple indication que le cabinet est fermé est insuffisante.
De façon générale, il faut être très prudent avec le principe d'un répondeur dans la mesure où il existe un risque important de ne pas prendre connaissance à temps des messages, potentiellement urgents.