L’abstention et son possible corollaire : la non-assistance à personne en péril
Évaluation du risque suicidaire
Face à un patient qui menace de se suicider, il faut d’abord évaluer la vraisemblance du risque de passage à l’acte, en fonction de la connaissance que l’on a du patient, de sa pathologie, et de ses antécédents le cas échéant.
Mais ce questionnement n’aboutit pas nécessairement à une solution, tant il est difficile de mesurer avec certitude le "sérieux" de ce type d’annonce, qui peut tout à fait être suivie d’effets, même chez un patient que l’on considère moins "à risque" que d’autres.
La prudence doit être de mise.
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Non assistance à personne en péril et conséquences
Si le médecin décide en conscience de ne pas intervenir, pourrait-il se voir reprocher une non-assistance à personne en péril en cas de passage à l’acte ?
Cette infraction est prévue à l’article 223-6 du code pénal qui énonce que "Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne, s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours".
Ce principe est repris à l’article R. 4127-9 du code de la santé publique.
Il résulte de ces textes, et en particulier de l’article 223-6 du code pénal, que pour que l’infraction soit opposée à un citoyen, tout comme à un professionnel de santé, plusieurs conditions doivent être réunies :
- La victime doit être réellement en situation de péril : l’obligation de porter secours concerne seulement le cas de personnes se trouvant en état de péril imminent, constant, et grave nécessitant une intervention immédiate. Le péril imminent est celui qui est sur le point de se réaliser.
- La personne à qui l’on reproche une non-assistance doit avoir conscience de l’existence de ce péril. Lorsque le tiers est un professionnel de santé, ce critère est apprécié plus sévèrement. En matière de suicide, encore faut-il que la personne alertée ait pu raisonnablement avoir conscience de son imminence et pris la menace de suicide au sérieux.
- Enfin, cette personne doit s’être volontairement abstenue de porter secours : l’auteur doit être passif face à une situation de péril menaçant une personne. Toute mesure manifestement insuffisante sera également retenue.
Il est difficile de préjuger de la décision que pourrait prendre un juge, car tout est fonction des circonstances propres à chaque affaire.
Notamment, il est possible que l’infraction de non-assistance à personne en péril ne soit pas constituée, dès lors que le péril n’est pas imminent et constant, quand bien même serait-il grave.
La révélation et son possible corollaire : la violation du secret médical
Crise suicidaire : que faire ?
Une intervention auprès du Procureur de la République peut être envisagée. Mais dans ce cas, le patient peut-il reprocher au médecin d’avoir trahi le secret médical en révélant à des tiers des informations confiées dans le cadre de la relation de soins ?
L’obligation de respect du secret médical est générale et absolue (article 226-13 du code pénal et L 1110-4 et R. 4127-4 du code de la santé publique) et ne supporte que des dérogations expressément et limitativement énumérées.
Comment résoudre ce dilemme éthique ?
Dans ce genre de situation, à la lisière de plusieurs textes en apparence contradictoires, il n’est malheureusement pas possible de préconiser une démarche tranchée.
La mise en place d’une mesure de soins sans consentement sur demande d’un tiers ou surtout de soins sans consentement pour péril imminent peut peut-être être envisagée, sous certaines conditions.
Mais il subsistera toujours la question de la notion de "péril imminent" qui doit être caractérisée…
Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) dans un communiqué du 3 avril 2015 s'est prononcé sur cette question, suite au crash aérien de la Germanwings du 24 mars 2015 provoqué par un copilote qui voulait se suicider, et avait fait part de son intention quelque temps auparavant dans le cadre d’une consultation médicale.
Le contexte était certes un peu différent, mais il fournit l’occasion de quelques rappels intéressants.
Levée du secret médical
Le code pénal ne prévoit dans son article 226-14 que trois dérogations spéciales :
- les sévices ou privations sur mineurs et personnes vulnérables ;
- les sévices et privations sur des personnes majeures ;
- le caractère dangereux (pour elles-mêmes comme pour les tiers) de personnes qui détiennent une arme ou envisagent d’en acquérir une (ce qui semble bien restrictif, une personne pouvant présenter un danger pour elle-même ou les tiers autrement qu’en détenant une arme).
En outre, dans son communiqué, le CNOM reconnaît au médecin la possibilité, à titre exceptionnel et en cas de risque grave et imminent de mise en danger d’autrui, qu’il ne peut prévenir autrement, et après qu’il ait épuisé toute autre solution, d’informer le médecin chargé de la santé au travail ou le procureur de la République.
Mais encore faut-il rappeler que dans le cas de la Germanwings, nous étions au-delà d’un cas de suicide classique, puisque le passage à l’acte du copilote impliquait, de facto, la mort des passagers de l’avion. La menace ne pesait donc pas seulement sur lui, mais aussi sur des tiers.
Le CNOM distingue les notions de danger et de péril
- Le danger est un risque certain à la survenue aléatoire.
- Le péril est un risque certain, grave et imminent. Face à un péril pour le patient ou pour des tiers, l'obligation du médecin de porter secours prime sur le secret.
Mais le critère déterminant semble être, encore une fois, celui de l’imminence du péril, qui n’est pas toujours évident en cas de menace de suicide et dont l’appréciation varie selon les cas.
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À retenir
Dans tous les cas, il est indispensable d’engager un dialogue avec son patient pour, non seulement, évaluer au mieux la réalité du risque suicidaire, mais aussi, évidemment, proposer une prise en charge adaptée et des démarches de soins, par exemple une hospitalisation consentie. Le contenu de ces échanges doit impérativement figurer dans le dossier médical.