Une infirmière cadre de santé révoquée par son employeur
L’infirmière coordinatrice d'un service de soins infirmiers à domicile est révoquée par son employeur, un centre communal d'action sociale, à la suite de divers signalements remettant en cause ses pratiques professionnelles.
Cette révocation repose sur trois griefs, tous considérés comme fondés par le tribunal administratif en première instance, puis par la cour administrative d’appel de Douai (arrêt du 15 janvier 2025, n° 23DA01477) :
- Un management excessif et déviant, consistant à organiser un système de clans, certains favorisés, d'autres ostracisés, avec des propos injurieux, humiliants et vexatoires.
- Une pratique consistant à demander aux aides-soignants, dans le cadre des actes pouvant être réalisés en collaboration avec l'infirmière, de couper les ongles de pieds des patients, y compris les diabétiques, en contradiction avec les textes qui font du pédicure-podologue le seul professionnel habilité pour la coupe des ongles de pieds dans ce cas.
- Enfin, la pratique consistant pour l'infirmière, cadre de santé, à demander aux aides-soignantes de prendre en photo les plaies des patients avec leur smartphone professionnel pour les lui envoyer ensuite par SMS. Cette organisation était supposée lui permettre de juger rapidement de l'opportunité de faire appel à un médecin, en fonction de l’aspect de la plaie.
C'est ce dernier point qui va particulièrement retenir notre attention dans cet article : cette pratique, qui semble en apparence pragmatique et sans risque, peut en réalité s’avérer dangereuse.
Des avis demandés sur photo et par SMS…
Dans cette affaire, le conseil départemental de l'Ordre des infirmiers avait été préalablement interrogé sur la pratique consistant à prendre des clichés photographiques des plaies des patients et à les envoyer à la cadre par SMS. Il avait répondu ne pas la cautionner, en raison du risque de non-respect du secret professionnel.
Malgré cet avis défavorable, la pratique était pourtant devenue courante et régulière dans le service. Au point de constituer une règle de fonctionnement, comme en attestent les témoignages recueillis lors de l'enquête administrative.
Pour sa défense, l'infirmière cadre faisait valoir plusieurs arguments :
- les patients photographiés (ou leur famille) avaient donné leur accord préalable,
- ils n’étaient, en tout état de cause, pas identifiables puisque les photos se concentraient sur l'aspect de leur plaie,
- cette pratique avait été mise en place pour rendre les soins plus efficaces et gagner du temps, améliorant ainsi la qualité de la prise en charge.
Une pratique qui ne peut être assimilée à de la télémédecine
La cour administrative d'appel ne retient aucune de ces justifications et juge cette pratique fautive, pour différentes raisons :
- Une fois l’avis rendu sur la nécessité de consulter un médecin, l'infirmière ne supprimait pas les photographies, dont certaines portaient parfois sur les parties intimes. Le RGPD n'est donc pas respecté puisque les images peuvent être conservées sans limitation de durée.
- Les photos étaient envoyées sur le téléphone professionnel de l'infirmière, qui n'est sécurisé que par un code PIN, et non sur l'application médicale sécurisée permettant l'accès au dossier des patients. Il a été établi par l'enquête que cette transmission sécurisée n'était pas possible dans l'établissement.
- Quand bien même cette pratique n'aurait donné lieu à aucune plainte des bénéficiaires ou de leurs proches, l'infirmière s'est néanmoins placée dans un cadre non maîtrisé, susceptible de porter atteinte à la dignité et à l'intimité du patient et de sa famille.
- La cour administrative d'appel rappelle très clairement qu'une telle pratique ne peut être assimilée à de la télémédecine et ne peut se substituer à un diagnostic sur place. L'enquête administrative a d'ailleurs démontré qu’elle a provoqué la prise en charge tardive de deux patients, dont les plaies se sont aggravées.
Que retenir de cette affaire ?
Dans un contexte d'exercice à flux tendu, avec un manque de personnel et/ou de matériel adapté, il peut être tentant de parer au plus pressé en utilisant des outils qui, bien que professionnels, ne présentent pas les mêmes garanties de confidentialité qu'un système de transmission sécurisée.
Même si l'intention est bonne, il ne faut pas perdre de vue que de telles pratiques ne peuvent pas s'apparenter à de la télémédecine, strictement encadrée par les textes. Il n'est pas possible d'envoyer des photos sur un système non sécurisé, car il s'agit d'une donnée personnelle et médicale du patient. Le fait que ce dernier ait consenti à la prise du cliché n'autorise pas pour autant le professionnel à le transmettre ni à le stocker, à plus forte raison sans aucune condition de durée.
S'il peut être pertinent d'adresser une photographie à un autre professionnel pour décider de la prise en charge la plus adaptée, ce n’est pas hors de tout cadre et surtout, cela ne peut relever d’une organisation pérenne.
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