Rappel des textes sur la garantie décennale
Pour mémoire, c’est l’article 1792 du code civil qui pose le principe de la garantie décennale. Il dispose que : "Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination".
L’article 1792-2, pour sa part, étend cette présomption de responsabilité aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un bâtiment, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert.
Enfin, pour finir avec le rappel des textes, l’article 1792-3 prévoit que les autres éléments d'équipement de l'ouvrage font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de sa réception.
Un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.
Les conditions d’engagement de la responsabilité décennale
On l’oublie souvent, mais pour enclencher la responsabilité décennale, il ne faut pas simplement encore être dans les 10 ans à compter de la réception des travaux. Il faut aussi remplir certaines conditions.
- La responsabilité décennale concerne des dommages de nature décennale. Cela signifie que ces dommages doivent compromettre la solidité de l’ouvrage ou le rendre impropre à sa destination.
- Le dommage doit être imputable à un vice de construction ou de sol. Cela signifie qu’à l’origine, une faute doit avoir été commise lors de la conception ou de l’exécution des travaux.
- Autre critère qui va nous intéresser plus particulièrement : la notion d’ouvrage, qui déterminera les désordres qui relèvent ou non de la garantie décennale.
En effet, depuis un arrêt du 15 juin 2017, la Cour de Cassation estime que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Cass 3e civ. 15 juin 2017, n° 16-19.640).
Antérieurement, les éléments d'équipement bénéficiant de la garantie décennale étaient uniquement ceux qui avaient été installés au moment de la réalisation de l'ouvrage.
Pour résumer, depuis 2017, la responsabilité décennale s’applique à l’adjonction d’un élément d’équipement sur existant. Plus besoin que l’équipement soit d’origine pour être qualifié d’ouvrage, tant que les dommages l'affectant rendent l'ouvrage en lui-même impropre à sa destination.
Cela avait à l’époque fait grand bruit, dans la mesure où ce type de travaux n’était pourtant pas constitutif d’un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil.
Relevaient donc de la garantie décennale, en vertu de cette nouvelle jurisprudence de 2017, par exemple :
- des travaux de pose d’une pompe à chaleur après la construction,
- des travaux d’ajout d’un insert dans une vieille cheminée préexistante.
Les apports de l’arrêt la Cour de cassation
L’arrêt du 21 mars 2024 a mis fin à cette jurisprudence. Ainsi, les éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage. Ils ne relèvent donc pas de la garantie décennale (ni même de la garantie biennale de bon fonctionnement), et ce quel que soit le degré de gravité des désordres.
Désormais, ces désordres relèvent - comme cela était le cas avant 2017 d’ailleurs - de la responsabilité contractuelle de droit commun, qui se prescrit dans un délai de 5 ans à compter de la découverte du dommage.
La Cour de Cassation prend le temps, dans son arrêt, d’expliquer son changement d’interprétation. Elle indique que la position de 2017 était motivée par un objectif de simplification en ne distinguant plus selon que l'élément d'équipement était d'origine ou seulement adjoint à l'existant.
Elle cherchait aussi à assurer une meilleure protection des personnes réalisant plus fréquemment des travaux de rénovation ou d'amélioration de l'habitat existant.
La Cour constate néanmoins que ces objectifs n'ont pas été atteints.
En conclusion
En droit, ce revirement a peu d’impact puisque le délai de prescription de la responsabilité de droit commun ne court qu’à compter de la connaissance du dommage.
Toutefois, cette position aura une incidence pratique certaine, puisque la responsabilité contractuelle d’une entreprise n’est pas obligatoire. Dans ce cas, la victime du désordre ne pourra plus aller chercher l’assureur pour obtenir réparation de son préjudice. Pour espérer obtenir une prise en charge, il faudra, que le fautif soit toujours solvable, ce qui peut s’avérer aléatoire dans le domaine de la construction. |