Pourquoi distinguer faute de service et faute détachable ?
Cette distinction est importante pour déterminer quel tribunal (administratif ou civil) sera compétent et qui, du praticien ou de l’établissement, aura la charge de l’indemnisation de la victime.
- La faute de service est "anonyme" : elle n’est mise sur le compte de personne en particulier mais sur celui d’une entité. Ses conséquences sont prises en charge par l’administration (en l’occurrence l’établissement hospitalier employeur) selon les règles du droit administratif. Aucune responsabilité personnelle du praticien n’est retenue car sa faute, liée à l’exécution du service public, ne s’en détache pas. C’est ce qui justifie la mise en œuvre d’un régime plus protecteur.
- À l’inverse, la faute détachable du service public engage la responsabilité personnelle de son auteur et implique la compétence des juridictions judiciaires.
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Le praticien hospitalier qui commet une faute considérée comme détachable ne pourra pas compter sur son établissement pour assurer sa défense, et s’il est condamné devra personnellement régler les dommages et intérêts alloués à la victime.
C’est l’une des raisons pour lesquelles il est recommandé aux hospitaliers, quelle que soit leur profession, de souscrire une assurance responsabilité professionnelle personnelle.
Quelle définition pour la faute détachable ?
Il n’existe aucune définition légale ou réglementaire de la faute personnelle détachable du service. C’est la jurisprudence qui en a progressivement dessiné les contours, permettant l’émergence de plusieurs critères :
- le fait personnel commis en dehors du service et dépourvu de tout lien avec lui : par exemple la prise en charge inappropriée d’une victime d’accident par un praticien en vacances ;
- le fait personnel commis dans le cadre du service mais dénotant une volonté de nuire, une malveillance, la recherche d’un intérêt personnel : agression ou harcèlement par exemple ;
- une faute d’une extrême gravité. Les juges du fond comme la Cour de cassation emploient des terminologies variées pour qualifier la faute détachable : manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique (Cour de cassation, 18 janvier 2023, pourvoi n° 21-13.369), faute lourde détachable, manquement grave ou inadmissible, comportement blâmable, impéritie, etc. .
Une faute détachable n'est donc pas "n'importe quelle faute"
Elle doit présenter un certain degré et soit témoigner d’une volonté personnelle, soit dépasser la marge d’erreur admissible et reconnue à tout professionnel dans le cadre de ses obligations professionnelles et déontologiques.
Mais comment distinguer la faute d’une extrême gravité d’une faute plus "classique" survenant dans le cadre de la prise en charge ? Suffit-il qu’une faute soit grave pour qu’elle soit considérée comme détachable ?
Les réponses à ces questions ne sont pas simples.
Une faute grave est-elle toujours une faute détachable ?
Une faute détachable est donc en principe caractérisée par un comportement particulièrement blâmable ou inadmissible. Dans certains cas, le doute est peu permis. À titre d’exemples :
- Tentative de dissimulation d’une erreur de flacon à l’origine de l’injection d’eau souillée au lieu d’un produit de contraste par un radiologue, faute à la fois grave et revêtant un caractère volontaire.
- Refus du médecin de garde de se déplacer pour examiner une patiente admise aux urgences pour blessure à l’abdomen par arme à feu, décédée quelques jours plus tard du fait de la perforation de son côlon.
- Ablation du rein droit à la place du rein gauche.
Mais l’absence de définition objective de la faute détachable du service public laisse le champ libre à l’interprétation. Dans certaines affaires, la faute reçoit des qualifications variées alors pourtant que les circonstances sont très proches, voire semblables :
- N’a pas été considérée comme détachable la faute, pourtant qualifiée de "défaillance inadmissible", consistant en une sous-estimation de l’état d’une jeune fille de 16 ans admise à l’hôpital suite à un grave accident de la circulation et décédée d’une hémorragie interne. En dépit de la conjonction de plusieurs fautes successives, le juge a considéré que le médecin avait agi dans le strict exercice de son art au sein de l’hôpital.
- L’injection par une infirmière de 70 mg de morphine au lieu des 7 mg prescrits, à l’origine du décès de la patiente, n’a pas été considérée par le juge administratif comme une faute détachable : il a estimé que l’infirmière n’était animée par aucun intérêt personnel, se trouvait dans l’exercice de ses fonctions et a agi avec les moyens du service.
Des fautes intrinsèquement graves, voire inadmissibles, peuvent ainsi être qualifiées de fautes de service en raison des moyens employés, en lien avec le service.
Ces décisions diverses sur des faits semblables témoignent de la difficulté à qualifier la faute détachable.
Faute détachable et faute pénale, quel rapport ?
Puisqu’une faute d’une exceptionnelle gravité peut être considérée comme une faute détachable, existe-t-il une correspondance avec la faute pénale, en principe elle aussi d’une gravité particulière ?
La jurisprudence est claire sur le sujet
De même qu’il existe des fautes personnelles qui ne constituent pas un délit pénal, les fautes constituant des délits, y compris d’homicide involontaire, ne sont pas nécessairement détachables du service public.
D’ailleurs, dans l’affaire où une infirmière avait injecté dix fois la dose prescrite de morphine, une faute pénale avait été retenue. Bien que le juge pénal ait évoqué le caractère détachable de la faute, cette qualification a ensuite été remise en question par le juge administratif.
Quel impact de l’organisation du service sur le caractère détachable de la faute ?
Aussi consciencieux et compétent soit-il, le praticien doit "faire avec" les conditions de travail qui lui sont imposées et l’organisation du service dans lequel il évolue.
Dans certains cas, la faute qu’il a commise résulte d’une organisation déficiente (manque de personnel, de moyens) ou d’un ordre illégal donné par la hiérarchie, avec par exemple pour conséquence un dépassement de compétences. Qu’en est-il alors dans ce cas ?
Là encore, pas de réponse vraiment tranchée
Tout sera fonction des circonstances propres à chaque affaire. Mais même si une faute détachable est retenue, cela n’exclut pas pour autant la responsabilité du service, non pas au titre des actes réalisés par le professionnel de santé mais au titre de la mauvaise organisation mise en place.
Un point d’attention important
Un dépassement de compétences sur ordre de sa hiérarchie peut être considéré comme une faute détachable. En effet, face à un ordre manifestement illégal, de nature à compromettre gravement le fonctionnement du service, l’agent n’est pas tenu d’obéir aveuglément.
À retenir
- La faute détachable est une notion complexe, qui n’est pas définie par la loi.
- Ses critères sont notamment le caractère volontaire de l’acte ou la particulière gravité de la faute.
- Elle peut présenter des points communs avec la faute pénale mais il n’existe pas de correspondance systématique entre les deux notions.