Des ralentissements répétés du RCF et un enfant né en état de mort apparente
Un mois avant le terme prévu, une parturiente se présente à une heure du matin en maternité privée pour accoucher de son troisième enfant.
Elle est prise en charge par la sage-femme de garde, qui avertit l'obstétricien ayant assuré le suivi de grossesse. La patiente est placée en salle de travail et une perfusion de Syntocinon® est mise en place. Après pose de la péridurale, il est constaté un ralentissement du rythme cardiaque fœtal, mais avec une bonne récupération.
D'autres anomalies se produisent dans le cours de la matinée : ralentissements ou, à l’inverse, tachycardie fœtale sur un rythme micro-oscillant avec ralentissements tardifs. En fin de matinée, le rythme cardiaque fœtal est à 100 battements par minute, puis à 90 lorsque débutent les efforts expulsifs.
Devant la constatation d'une souffrance fœtale aiguë, l'obstétricien, qui est arrivé entre-temps, met en place un forceps après avoir fait une épisiotomie préventive.
L'enfant naît en arrêt cardio-respiratoire. Intubé et ventilé par l'anesthésiste de garde, il est ensuite pris en charge par le SAMU.
Dans les suites de l'accouchement, il reste atteint d'une tétraparésie spastique en raison d'une encéphalopathie anoxo-ischémique.
Les parents reprochent à la sage-femme de garde de ne pas avoir fait appel à un médecin lorsque l'accouchement est devenu dystocique.
Ils assignent la clinique en tant qu'employeur de la sage-femme et recherchent également la responsabilité de l'obstétricien, pour avoir tardé à extraire l'enfant.
Une souffrance fœtale tardivement identifiée par la sage-femme
Par un jugement du 10 janvier 2019, confirmé par un arrêt de la cour d’appel du 11 mars 2021, il est retenu des manquements fautifs à l’encontre de la sage-femme.
Devant les ralentissements répétés du rythme cardiaque fœtal, elle aurait dû être alertée sur l'existence d'une souffrance fœtale et faire appel à l'obstétricien de garde. En particulier, les ralentissements survenus juste avant les efforts expulsifs auraient dû l'inciter à passer la main, ceci d'autant plus que la présentation fœtale était en occipito-sacré, faisant redouter une prolongation de la durée d'expulsion.
Les juges considèrent que ces abstentions répétées de la sage-femme, alors que les soins à prodiguer dépassaient sa compétence professionnelle et ses possibilités, sont contraires aux dispositions du Code de la santé publique et engagent la responsabilité civile de son employeur, la clinique1.
En revanche, l'obstétricien n'a commis aucun manquement et doit être mis hors de cause ; en effet, dès son arrivée, il a immédiatement pris la mesure de la situation et de l'urgence à extraire l'enfant en posant un forceps.
Un pourvoi en cassation a été formé à l’encontre de la décision de la cour d’appel.
Complications de l'accouchement : ce qu'il faut retenir
- L'article L. 4151-3 du CSP énonce que "en cas d'accouchement dystocique, la sage-femme doit faire appel à un médecin".
- Quant à l’article R. 4127-313, il précise que "dans l'exercice de sa profession, la sage-femme ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, effectuer des actes ou donner des soins, ni formuler des prescriptions dans les domaines qui débordent sa compétence professionnelle ou dépassent ses possibilités".
- Enfin, l'article R. 4127-325 ajoute que "la sage-femme doit faire appel à un médecin lorsque les soins à donner débordent sa compétence professionnelle ou lorsque la famille l'exige".
Toute la difficulté est de savoir à partir de quel moment un accouchement devient dystocique, c’est-à-dire qu’il survient une complication nécessitant un passage de relais à l’obstétricien.
Pour cela, il faut que la sage-femme ait identifié une difficulté particulière. Or, il n'est pas toujours aisé de déterminer l'existence d'une souffrance fœtale, dont les signes peuvent être trompeurs ou peu évocateurs.
C’est là tout l'intérêt des expertises judiciaires, lorsqu’un professionnel de santé est mis en cause : dans ces affaires d’obstétrique, l'expert retrace minutieusement le déroulement de l'accouchement, presque minute par minute, pour déterminer à partir de quel moment les anomalies constatées devaient être identifiées, en fonction des compétences de chacun des intervenants, et justifier une réaction adaptée.
A retenir
Il est donc primordial d’assurer une parfaite traçabilité des étapes de l’accouchement, des anomalies constatées et des mesures prises pour y remédier, car ce sont ces éléments qui permettront de reconstituer le déroulement des faits et d’établir avec précision le moment à partir duquel l’accouchement est devenu dystocique.
Si la sage-femme a passé la main à l’obstétricien, il est évidemment essentiel de le noter au dossier, avec mention de l’heure exacte.
1 En effet, un professionnel de santé salarié n’engage pas sa responsabilité civile personnelle, dès lors qu’il a agi dans le cadre de sa mission. C’est son employeur qui est civilement responsable en cas de faute.
Crédit photo : L. SOUCI / BSIP