Un litige autour du versement d’une indemnité de précarité
La Cour administrative d’appel de Douai s’est penchée sur le cas d’un médecin ayant exercé plusieurs années au sein d’un centre hospitalier, en qualité de praticien hospitalier.
Admis à faire valoir ses droits à la retraite, il est autorisé à poursuivre son activité à l’hôpital dans le cadre d’un cumul emploi-retraite.
Le centre hospitalier lui propose alors de conclure un contrat de praticien attaché d’une durée inférieure à un an jusqu’au 31 décembre 2016 ; au-delà de cette date, la relation contractuelle n’est pas poursuivie, le praticien ne souhaitant pas la prolonger.
A l’issue de son contrat, aucune indemnité de précarité ne lui ayant été réglée, il en fait la demande.
En raison du silence gardé par le centre hospitalier (silence qui constitue une décision implicite de rejet), il engage un recours indemnitaire devant le juge du plein contentieux.
Le tribunal administratif lui donne raison et fait injonction au centre hospitalier de lui verser l’indemnité de précarité visée par l’article R.6152-610 du Code de la santé publique.
Le centre hospitalier relève alors appel du jugement et la Cour administrative d’appel annule le jugement. Elle considère que l’indemnité de fin de contrat n’est pas due, en se référant à sa finalité même.
Indemnité de précarité : à quelles conditions ?
Il résulte de l’article R. 6152-610 du Code de la santé publique et de l’article 1 de l’arrêté du 21 octobre 2003 que "Les praticiens attachés sont recrutés pour un contrat d'une durée maximale d'un an, renouvelable dans la limite d'une durée totale de vingt-quatre mois. Lorsque, au terme de chaque contrat, la relation de travail n'est pas poursuivie, le praticien attaché a droit, à titre de complément de rémunération, à une indemnité destinée à compenser la précarité de sa situation".
C’est l'arrêté des ministres chargés du Budget et de la Santé du 21 octobre 2003 qui fixe le montant et les conditions de versement de cette indemnité :
- montant brut égal à 10 % du total des émoluments bruts visés au 1° de l'article 14 du décret du 1er août 2003 ;
- indemnité non soumise à cotisations IRCANTEC ;
- indemnité versée en une fois dans un délai maximum de deux mois après la fin du contrat.
En d'autres termes, un praticien attaché peut percevoir une indemnité de précarité si son contrat d'attaché ne dure pas plus de deux ans.
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L'indemnité de précarité est calculée :
- soit sur la première année, si le contrat a cessé au bout d'un an,
- soit sur la seconde année d'attaché s’il a conclu un second contrat d’un an.
On notera qu’à aucun moment le texte ne procède à un traitement spécifique du cumul d’activité : il ne l’évoque même pas.
Pour autant, c’est bien en considération de la finalité même de cette indemnité et de la spécificité du cumul emploi-retraite, que la Cour administrative d’appel va annuler le jugement rendu en première instance.
Pas d’indemnité de précarité en cas de cumul emploi-retraite, selon la cour administrative d’appel
En l’espèce, la Cour souligne que l’indemnité est destinée à compenser une situation bien particulière : la précarité de la situation de l'agent dont les relations contractuelles avec son employeur ne se poursuivent pas à l'issue d'un contrat à durée déterminée d'un an renouvelable une fois, par un contrat triennal puis par un contrat à durée indéterminée.
Elle n’est pas applicable aux contrats passés avec les personnels médicaux hospitaliers autorisés à prolonger leur activité au-delà de la limite d'âge : en effet, de tels contrats sont, dès leur signature, insusceptibles de se poursuivre par un contrat à durée indéterminée à bref ou moyen terme .
En d’autres termes, si le praticien a été autorisé à poursuivre son activité dans le cadre d’un cumul emploi-retraite sous le statut de praticien attaché, il n’était pas susceptible de bénéficier, à terme, d’un contrat à durée indéterminée, le cumul étant nécessairement limité dans sa durée.
Le praticien a fait valoir qu’il se trouvait en situation de précarité du fait du faible montant de sa pension ; la Cour ne l’a pas suivi sur ce terrain : "les textes applicables ne conditionnent pas le bénéfice de l’indemnité par un examen au cas par cas de la situation du demandeur".
Une décision qui assimile praticien contractuel et praticien attaché
La Cour administrative d’appel transpose aux praticiens attachés en situation de cumul emploi-retraite la solution antérieurement appliquée par le Conseil d’Etat aux praticiens contractuels autorisés à prolonger leur activité au-delà de la limité d’âge.
Pour ces derniers, c’est l’article R. 6152-418 du Code de la santé publique, renvoyant expressément à l'article L. 1243-8 du Code du travail, qui s’applique.
Cet article prévoit une indemnité de précarité égale à 10 % de la rémunération totale brute versée au salarié, sous une condition : qu’à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée.
Le salarié a alors droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation. Cette indemnité s'ajoute à la rémunération totale brute due et est versée à l'issue du contrat, en même temps que le dernier salaire.
Dans un arrêt rendu le 28 septembre 2020 (Conseil d'État 28 septembre 2020, n° 423986, Lebon), le Conseil d'Etat a jugé que cette indemnité de fin de contrat, destinée à compenser la précarité de la situation du salarié, ne saurait s'appliquer aux contrats passés avec les personnels médicaux hospitaliers contractuels autorisés à prolonger leur activité au-delà de la limite d'âge.
En effet, pour le Conseil d’État, c’est la nature même de ces contrats qui ne permet pas au praticien de prétendre à une indemnité de précarité. Il considère qu’ils sont, dès leur signature, en vertu de l'article 135 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 et des articles 1er et 3 du décret n° 2005-207 du 1er mars 2005, insusceptibles de se poursuivre par un CDI.
L’article L.1243-10 du Code du travail énonce quant à lui que l'indemnité de fin de contrat n'est pas due – notamment – "lorsque le salarié refuse d'accepter la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, assorti d'une rémunération au moins équivalente".
C’est donc ce même raisonnement que la cour administrative d’appel applique pour le praticien attaché, ce qui peut paraître surprenant.
Une assimilation entre praticien contractuel et praticien attaché qui surprend
Dans l’affaire soumise à la Cour administrative d’appel, il n’était pas question d’un praticien employé comme contractuel, mais comme attaché. Il avait d’ailleurs été souligné dans les mémoires échangés que les textes applicables aux praticiens attachés ne se référaient pas aux dispositions du Code du travail, contrairement à ceux applicables aux praticiens contractuels. Ils n'évoquent pas le refus de proposition de CDI, contrairement au statut de praticien contractuel.
Il est simplement précisé qu'ils peuvent prétendre à une "indemnité destinée à compenser la précarité de leur situation lorsque la relation de travail n'est pas poursuivie au terme du contrat".
Du reste, l’article R. 6152-610 du Code de la santé publique, dans sa rédaction en vigueur au moment du litige, énonçait que les praticiens attachés "sont recrutés pour un contrat d'une durée maximale d'un an, renouvelable dans la limite d'une durée totale de vingt-quatre mois". A l’issue de cette période, le renouvellement s'effectue par un contrat de trois ans renouvelable de droit, par décision expresse".
Pour les praticiens attachés, après la période de 24 mois, il n’est pas possible de proposer un CDI. Il faut d’abord passer par un contrat triennal, à l’issue duquel un CDI peut être proposé.
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En d’autres termes, même si le praticien attaché était resté en poste au service du centre hospitalier après son CDD, son contrat n’aurait pu être renouvelé que sous forme d’un nouveau CDD, et non d’un CDI. Peu importe qu’il soit ou non en situation de cumul emploi-retraite.
C’est la raison pour laquelle l’assimilation de la situation du praticien attaché avec celle du praticien contractuel peut étonner.
Cette différence de situation avait d’ailleurs conduit, assez logiquement, le tribunal administratif d’Amiens à considérer que les praticiens attachés ont droit à l’indemnité de précarité puisque la relation de travail n’est pas poursuivie au terme du contrat, qu’elle que soit la partie à l’initiative du non-renouvellement.
Que retenir de cette affaire ?
En définitive, si l’on perçoit dans cette décision l’évidente volonté de transposer la jurisprudence du Conseil d’Etat applicable aux praticiens contractuels en prolongation d’activité, les importantes différences dans les conditions d’octroi de l’indemnité de précarité ne manquent pas de nous questionner sur la solution retenue.
Soulignons que la publication du décret n° 2022-135 du 5 février 2022 atténue l’impact de l’arrêt rendu par la Cour administrative de Douai.
En effet, depuis l’entrée en vigueur de ce décret, soit le 7 février 2022, aucun nouveau contrat de praticien attaché ne peut être conclu. De même, aucun renouvellement ni aucun avenant ne peut être conclu pour les contrats en cours.
Par exception, seuls les praticiens attachés en contrat triennal qui, à la date du 7 février 2022, bénéficient d’un droit à renouvellement par contrat de praticien attaché à durée indéterminée en vertu de l’article R. 6152-610 du CSP, conservent ce droit.