Une regrettable confusion entre deux patientes
Madame Marie-Cécile Dupont, 53 ans, se présente pour la première fois au cabinet du Docteur Quenotte pour une consultation en urgence. Elle souffre d'une douleur intense à sa molaire 46 et, visiblement fatiguée, remet rapidement sa carte vitale à l'assistante du cabinet, qui enregistre ses informations dans le logiciel de gestion des patients.
L'assistante identifie sur la carte vitale le nom "Marie-Cécile Garnier"; qu’elle inscrit dans la base de données du cabinet. Elle ne demande pas à vérifier les autres documents d'identité, car le cabinet est débordé. Cependant, la patiente mentionne avoir repris son nom de jeune fille, il y a longtemps.
Le chirurgien-dentiste consulte la fiche de la patiente et l'interroge pour compléter son dossier médical. Madame Dupont confirme une allergie connue à la pénicilline.
Le praticien réalise des clichés radiographiques et diagnostique une infection dentaire nécessitant l'extraction de la dent 46. Il prescrit un antibiotique adapté et prévoit une intervention la semaine suivante.
Le jour de l'intervention, une erreur subsiste, l'assistante prépare la salle et consulte le dossier d'une patiente du nom de Marie Garnier. Après l'intervention, une antibiothérapie à base de pénicilline lui est prescrite par le chirurgien-dentiste. Madame Marie-Cécile Dupont développe une réaction allergique grave nécessitant une hospitalisation d'urgence.
En consultant les documents administratifs, l'erreur d'identité est découverte : le dossier de Madame Garnier a été mélangé avec celui de Madame Dupont, car leurs informations (noms et dates de naissance) étaient très similaires, et leur distinction n'a pas a été confirmée au moment de l'intervention.
Les spécificités de l'identification en cabinet dentaire : les cinq critères et l'INS
Depuis le 1er janvier 2021, les cabinets dentaires, au même titre que toutes les autres structures de santé, ont l’obligation de mettre en œuvre un ensemble de moyens et de procédures visant à garantir une identification fiable et unique des patients.
La création d'une identité numérique repose sur le recueil obligatoire de cinq traits stricts d’identification et le matricule INS (Identité Nationale de Santé).
Les 5 traits stricts d'identification
Le matricule INS
Ce matricule est :
- le NIR - Numéro d’Inscription au Répertoire national des personnes physiques pour les personnes cotisant aux caisses de sécurité sociale ;
- ou le NIA - Numéro Identifiant Attente pour les personnes en cours d’immatriculation.
Comment faire en pratique pour l'identification du patient en cabinet dentaire ?
Pour le chirurgien-dentiste, ce processus ne devrait plus poser de difficulté. Les informations nécessaires sont récupérées via le téléservice INSi (outil de recherche et de vérification de l'Identité Nationale de Santé) en utilisant la carte vitale du patient.
L'intégration du téléservice INSi dans le logiciel de gestion du cabinet, sous réserve qu'il ait été mis à jour conformément aux préconisations de l’Agence du Numérique en Santé, permet de simplifier l'enregistrement et la validation de l'INS du patient.
L'identification primaire du patient
L’enregistrement initial est appelé identification primaire.
L’assistante du Docteur Quenotte aurait dû vérifier "les 5 traits d’identité" de Madame Dupont sur le téléservice INSi.
Cette vérification se fait à la première prise en charge ou à l’occasion d’une nouvelle prise en charge si l’INS n’avait pas encore pu être qualifiée par le passé.
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La procédure de validation de l'identité consiste à vérifier que l'INS renvoyée sur les bases de référence correspond bien à celle du patient qui se trouve face au chirurgien-dentiste.
En pratique, elle consiste à demander au patient une pièce d'identité à haut niveau de confiance :
- carte d'identité ;
- passeport ;
- titre de séjour ;
- pour les mineurs, un extrait d'acte de naissance ou livret de famille, accompagné d'une pièce d'identité du responsable légal.
L’assistante du Docteur Quenotte, faute de temps ou par méconnaissance, n’a pas demandé de pièce d'identité à Madame Dupont, qui venait pour la première fois au cabinet.
L’identité de Madame Dupont, faute de contrôle de ses éléments, n’est donc pas passée au statut d’identité qualifiée. Seul ce statut permet le référencement des données de santé échangées avec le matricule INS.
En cas d’opposition ou de réticence du patient pour montrer une pièce d’identité, la pédagogie est de rigueur.
Il faut expliquer qu’il ne s’agit pas de contrôle d’identité de la force publique mais d’une sécurisation de la prise en charge et du traitement informatique des données.
Cela renforcera la confiance du patient sur la qualité et la sécurité de la prise en charge.
L'identification secondaire du patient
L’identification secondaire consiste, pour le professionnel de santé, à vérifier l’identité de son patient à chaque consultation pour s’assurer que l’échange de données médicales est fiabilisé :
Une identité qualifiée (5 traits stricts + INS + pièce d'identité) :
- permet aux usagers d’avoir une identité unique et pérenne ;
- contribue à la qualité de la prise en charge et à la sécurité des soins ;
- permet de fiabiliser les échanges de données de santé entre les différents intervenants ;
- prise en charge sanitaire et/ou suivi médico-social.
Quels sont les principaux problèmes rencontrés au cabinet dentaire ?
Le doublon et la confusion des dossiers
L'usager est enregistré dans un cabinet sous plusieurs identités numériques.
La collision
Correspond au mélange de données de deux usagers différents dans un même dossier : c’est le cas de notre exemple puisque l'absence de vérification stricte des cinq critères d'identification et de l’INS, puis de vérification de l’identité par la demande d’une pièce d’identité par l’assistante, ont conduit à un enregistrement erroné.
Le manque d'identification secondaire rigoureuse
Dans notre exemple, le Docteur Quenotte n’a rien vérifié à la première consultation et avant toute prescription.
Manquement à l'identitovigilance : quelles conséquences possibles ?
Ces erreurs peuvent entraîner des confusions de dossier, avec pour conséquence des actes cliniques inappropriés :
- Donner un traitement au mauvais patient.
- Erreur d'intervention.
- Intervention faite dans le mauvais secteur dentaire.
- Inversion de diagnostics entre deux patients.
- Atteintes à la confidentialité des données de santé.
Toute erreur ou suspicion d'erreur doit faire l'objet d'un traitement dans les meilleurs délais :
- Erreur d'état civil.
- Doute sur l’identité réelle d’un usager.
- Suspicion de doublon d'identité numérique.
- Présence d'un enregistrement dans le mauvais dossier (collision).
Quelques propositions pour améliorer la gestion de l'identitovigilance au cabinet dentaire
- Formation du personnel administratif et soignant
Les équipes doivent être formées à identifier les doublons et à valider exclusivement les informations critiques. - Utilisation systématique de l'Identifiant National de Santé (INS)
- Procédures d'identification strictes avant chaque acte
À valider par le chirurgien-dentiste en cabinet à la première consultation, tout au long de la prise en charge, avant toute prescription, actes de soins et de chirurgie.
En conclusion
L'identitovigilance en cabinet dentaire exige une vigilance constante et une application rigoureuse à chaque étape du parcours de soins. Les critères d’identification précis, l’utilisation renforcée de l’INS et les doubles contrôles permettent aux cabinets dentaires d’assurer la sécurité de leurs patients.
Ces modalités sont opposables depuis l’arrêté publié le 08 juin 2021, qui approuve le Référentiel National d’Identitovigilance (RNIV).
Bien que cette démarche mobilise du temps et des ressources, elle constitue une réponse essentielle aux exigences croissantes de fiabilité et d’intégrité des données dans le domaine de la santé.
Crédit photo : SPL / BSIP