Modification unilatérale d'une prescription d'anticoagulant
Une patiente, âgée de 84 ans, bénéficie d’un traitement anticoagulant en raison d’une arythmie cardiaque (Previscan® 20 mg) à une dose moyenne quotidienne d’un comprimé par jour, sur prescription du cardiologue traitant.
Lors de la prise en charge à domicile de la patiente, une des infirmières prend la décision de modifier la posologie de Previscan® (½ comprimé les jours pairs et ¾ de comprimé les jours impairs). Une analyse biologique de contrôle montrait pourtant un taux de prothrombine à 73 % et un INR à 1,22, ce qui objectivait une hypercoagulabilité nettement au-dessus des cibles requises pour assurer une fluidité sanguine dans le cadre d'une prévention efficace.
La patiente présente à son domicile un double accident vasculaire cérébral ischémique sylvien gauche, puis droit.
Un changement de posologie injustifié selon l'expert
L’expert considère :
- Que l’infirmière , professionnelle de santé responsable de l'administration des médicaments, et connaissant les risques de modification de la posologie, aurait dû prendre contact avec le cardiologue, médecin traitant de la patiente.
- Que l'initiative intempestive de l’infirmière de modifier de façon non adaptée la posologie du traitement anticoagulant par voie orale, sans l'avis ni l’aval du médecin cardiologue, constitue une faute technique. Cette faute est à l'origine d'une hypercoagulabilité qui a généré la migration d'embols d'origine cardiaque, responsables de l’AVC.
- Le seconde infirmière intervenue auprès de la patiente pour lui administrer le traitement, ne s’est pas inquiétée de ce changement de posologie sans prescription médicale.
L'expert conclut donc que les soins dispensés par les deux infirmières n'ont pas été conformes aux données acquises de la science médicale. L’accident cérébral est en relation directe avec la mauvaise adaptation posologique du traitement anticoagulant en cours.
Les deux infirmières condamnées
- Le tribunal condamne in solidum les infirmières à indemniser la patiente de l'intégralité de ses préjudices en relation directe avec le changement intempestif, inapproprié et infondé du traitement anticoagulant, sans information, avis ni aval du médecin prescripteur.
- L’indemnisation est fixée à 160 728 €.
Ce qu'il faut retenir de la décision
- La modification d’une prescription médicale ne fait pas partie des prérogatives d’une infirmière.
- L'infirmier ou l'infirmière communique au médecin prescripteur toute information en sa possession susceptible de concourir à l'établissement du diagnostic ou de permettre une meilleure adaptation du traitement en fonction de l'état de santé du patient et de son évolution. Si, au regard de l’analyse biologique de contrôle, l’IDE estimait que la posologie devait être modifiée, elle devait en référer au médecin prescripteur, qui aurait pris la décision de modifier ou non la posologie.
À noter
Depuis février 2022, un protocole de coopération local, applicable à l’AP-HP, autorise les infirmiers à surveiller et adapter le traitement anticoagulant de patients sous anti-vitamine K (AVK), en présentiel ou en télésurveillance.
Ce protocole, applicable uniquement dans les établissements de l’AP-HP, ouvrira peut-être la voie à une généralisation au plan national, pour les infirmiers exerçant en établissement de soins.