Quand l’infirmier découvre des sutures mal faites en changeant un pansement…
Une résidente d’EHPAD tombe dans les escaliers et s’écorche sévèrement le bras, sur une vingtaine de centimètres. Elle est prise en charge aux urgences où est réalisée une suture par agrafes.
Elle sort avec une prescription médicale pour l’ablation des agrafes à J+15, à faire réaliser par un infirmier. Lors de la première réfection du pansement, l’infirmier s’aperçoit que les agrafes sont mal positionnées : l’une est plantée directement dans la chair de la résidente, et non sur les deux berges.
En découvrant ce mauvais positionnement, l’infirmier est tenté de prendre la responsabilité d’ôter les agrafes immédiatement, car il craint une possible infection. Mais il hésite puisqu’il dispose d’une prescription médicale qui n’autorise le retrait qu’à J+15.
Il tente de recueillir l’avis du médecin traitant de la patiente mais ne parvient pas à le joindre. Il décide donc de retirer les dix agrafes, sans attendre. Le lendemain, le médecin traitant, venu sur place, confirmera que cette initiative était la bonne.
Mais l’infirmier s’interroge : risquait-il d’engager sa responsabilité civile professionnelle en prenant cette décision ?
Un principe : le retrait des agrafes n’est possible que sur prescription médicale ou protocole
L’article R. 4311-7 du Code de la santé publique est clair. L'infirmier est habilité à procéder à l’ablation du matériel de réparation cutanée sous certaines conditions :
- en application d'une prescription médicale qui, sauf urgence, est écrite, qualitative et quantitative, datée et signée ;
- en application d'un protocole écrit, qualitatif et quantitatif, préalablement établi, daté et signé par un médecin.
Il ne peut en principe, à sa seule initiative et selon des modalités qu’il aurait lui-même fixées, décider de retirer des points ou des agrafes, car cet acte ne fait pas partie de ses compétences propres.
Une application stricte des textes aurait donc dû conduire l’infirmier à appliquer la prescription médicale et à renoncer à retirer prématurément les agrafes.
Une exception : l’urgence
L’article R. 4311-7 du Code de la santé publique évoque la notion d’urgence, qui peut justifier une entorse à l’obligation de respecter strictement la prescription médicale.

Qu’est-ce exactement que l’urgence ?
Elle n’est définie par aucun texte. En cas de litige, c’est le juge qui appréciera ce caractère d’urgence en fonction des éléments propres à chaque affaire.
De manière générale, on considère qu’il y a urgence lorsque, en cas d’inaction, le pronostic vital du patient peut être engagé.
Dans la situation rencontrée par cet infirmier, l’urgence n’est pas caractérisée.
Une option en cas de doute : demander l’avis du prescripteur
L’article R. 4312-42 du Code de la santé publique, après avoir lui aussi rappelé que l'infirmier applique et respecte la prescription médicale, prévoit qu’il peut demander au prescripteur un complément d'information, chaque fois qu'il le juge utile, notamment s'il estime être insuffisamment éclairé.
L’objectif est clair : permettre à l’infirmier qui aurait un doute de ne pas rester "enfermé" dans une obligation absolue de respecter la prescription. En cas d’hésitation, il doit vérifier la prescription auprès de son auteur ou, en cas d'impossibilité, auprès d'un autre membre de la profession concernée.
Ce même article prévoit également qu’en cas d'impossibilité de vérification et de risques manifestes et imminents pour la santé du patient, l’infirmier doit adopter, en vertu de ses compétences propres, l'attitude permettant de préserver au mieux la santé du patient et de ne lui faire courir aucun risque.
Qu’en est-il pour l’infirmier qui a retiré les agrafes sans respecter la prescription médicale ?
L’infirmier a respecté les premiers termes de l’article R. 4312-42 du Code de la santé publique : constatant une difficulté, il a tenté de solliciter l’avis du médecin traitant de la patiente, sans succès.
Pouvait-il ensuite prendre l’initiative de retirer les points, hors de toute situation d’urgence ? Même s’il est toujours hasardeux de préjuger de la position que pourrait adopter un juge, saisi d’un litige, il est permis de penser que l’infirmier a agi en conformité avec les textes.
Certes, l’article R. 4312-10 du Code de la santé publique interdit à l’infirmier d’entreprendre ou de poursuivre des soins dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience, ses compétences ou les moyens dont il dispose. Mais en l’occurrence, le retrait du matériel de réparation cutanée fait bien partie de ses compétences. Même s’il ne s’agit pas d’une compétence propre, l’infirmier maîtrise la réalisation de cet acte.
En retirant immédiatement les points, il n’a fait qu’anticiper sur un acte qu’il avait compétence pour réaliser.
A l’inverse, s’il avait aveuglément appliqué la prescription et laissé les points alors que, de l’avis même du médecin traitant, une infection était possible, cela aurait pu lui être reproché.
Quels enseignements tirer ?
L’infirmier n’est pas un simple exécutant de la prescription médicale. Il dispose des compétences suffisantes, non forcément pour juger de l’opportunité de la prescription médicale ou la remettre en cause, mais du moins l’interroger en fonction des circonstances et des constatations qu’il fait pour chaque patient.
Il est même de son devoir de réagir lorsque, comme ici, la prescription ne semble pas adaptée au regard des circonstances de fait. De même d’ailleurs que lorsque la prescription lui semble entachée d’une erreur, ou pire, dangereuse.
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