Un décès suite à un hématome cervical en postopératoire
Un patient de 50 ans subit une opération d'ablation de la glande sous-maxillaire réalisée par un chirurgien ORL en clinique.
Une heure après la fin de l’intervention, vers 16 heures, l’anesthésiste signe l'autorisation de sortie de la salle de réveil.
Les suites opératoires sont marquées par l'apparition d'un hématome cervical, qui provoque une turgescence de l'ensemble des muqueuses oro-pharyngées et une obstruction de la filière oro-pharyngée, motivant une reprise chirurgicale dans la soirée.
Lors de cette seconde opération, le relâchement provoqué par les agents anesthésiques, conjugué à un phénomène hémodynamique, est à l'origine d'un arrêt cardio-vasculaire nécessitant des manœuvres de réanimation pendant plus d'une heure.
Le patient présente des lésions cérébrales irréversibles et il décède quelques jours plus tard.
Ses ayants droit assignent la clinique, l’ORL, l’anesthésiste et l’ONIAM. En première instance, le tribunal retient la responsabilité à 100 % du chirurgien et de la clinique, qui relèvent appel de la décision.
C’est dans ce contexte que la Cour d’appel se prononce, par un arrêt du 29 août 2019. La cour confirme la responsabilité de la clinique et du chirurgien ORL, mais sur des fondements différents des juges de première instance. Elle retient également une perte de chance de 70 %.
Le choix du pansement compressif mis hors de cause
Les experts judiciaires avaient retenu le caractère obsolète du pansement compressif selon le principe du taquet utilisé par le chirurgien, car ce type de pansement masque l'observation d'un éventuel hématome, ce qui est d’ailleurs advenu, et empêche le redon d'évacuer les sérosités.
Pourtant, les juges d’appel ne retiennent pas ce grief : bien que qualifiée de "désuète" par les experts, sans d’ailleurs que ce soit étayé par une quelconque publication médicale, cette technique était encore réalisée de manière habituelle à l’époque de l’intervention.
La non-conformité de ce type de pansement aux données acquises de la science à la date des soins n'est ainsi pas établie.
Le lien de causalité entre cette technique et la reprise chirurgicale tardive n'est pas davantage démontré. Certes, le pansement compressif en taquet peut masquer l'observation d'un éventuel hématome, qui ne devient visible que lorsque le pansement s’imbibe et gonfle.
Mais ce gonflement a été noté par l'équipe infirmière à plusieurs reprises dans l'après-midi, et ce dès la fin de l'intervention. La complication n’a donc pas été masquée par le pansement ; au contraire, elle a été décelée très rapidement.
En revanche, c’est la réaction qui a tardé, puisque les infirmières n’ont pas transmis cette information aux médecins pendant cinq heures.
Surveillance post opératoire : une absence de contre-visite qui n’est pas critiquable
Aucune visite postopératoire du chirurgien et de l'anesthésiste n’a eu lieu. Ce n’est que cinq heures après la fin de l’intervention que l’anesthésiste de garde a donné l’alerte.
Néanmoins, il n’existe aucune règle ou recommandation de bonne pratique en vertu de laquelle la contre-visite du chirurgien ou de l'anesthésiste doit avoir lieu dans un délai précis après la fin de l’intervention.
En l’espèce, le chirurgien établit qu’il avait prévu de visiter le patient à la clinique avant 22 heures, après son passage à l'hôpital pour le suivi d’un autre patient.
La pratique consistant pour le chirurgien à voir son patient entre quatre et six heures après l'intervention est courante et n’a pas été remise en cause par les experts judiciaires.
Rien ne justifiait une visite précoce en l’espèce, sauf si le chirurgien avait été averti d’une complication particulière, ce qui n’a pas été le cas puisque les infirmières, bien qu’ayant constaté un gonflement, ne l’ont pas appelé.
Il est donc considéré que l'absence de visite du patient en secteur hospitalisation avant 21 heures n’est pas fautive.
Des manquements du chirurgien dans la procédure de surveillance postopératoire
En revanche, la cour relève, comme les juges de première instance, l'absence de procédures spécifiques à la surveillance chirurgicale ORL destinées au personnel infirmier.
Il existait bien au sein de la clinique un protocole intitulé "procédure générale de surveillance infirmière en sortie de SSPI", mais il ne s’agit que d’un document à caractère général s'appliquant à toute intervention et prévoyant notamment la surveillance de l’état des pansements, de la plaie, et l’appel au médecin si l’anomalie décelée ne relève pas de la compétence de l'infirmier.
Cette note ne contient aucune consigne précise du médecin quant à la surveillance postopératoire propre au type d’intervention subi par le patient, pour lequel une complication sous forme de reprise de saignement chirurgical est connue comme possible, entraînant le développement d'un hématome cervical pouvant conduire à une gêne de plus en plus importante jusqu'à l'asphyxie.
Compte tenu de ce risque connu, des procédures spécifiques à cette surveillance s'imposaient. Or, elles n'ont pas été définies.
Le manque de prescriptions destinées au personnel infirmier est fautif et a participé au défaut d'alerte des médecins et, par voie de conséquence, au retard dans la reprise chirurgicale.
Une responsabilité de la clinique du fait de son personnel salarié
Les infirmières n’ont pas alerté les médecins pendant plusieurs heures, alors pourtant qu’elles avaient noté à trois reprises, entre 16 h 15 et 20 h 20, un gonflement au niveau du pansement.
L'absence de prescriptions spécifiques ne les dispensait pas de respecter le protocole général qui imposait de regarder l'état du pansement pour déceler toute anomalie et appeler le médecin.
Cette omission constitue une faute qui a retardé la reprise chirurgicale.
La responsabilité de la clinique est donc retenue, en tant que commettant du personnel infirmier salarié.
De l’importance des consignes postopératoires
La jurisprudence condamnant des praticiens pour un défaut de consignes adaptées au personnel infirmier, chargé de la surveillance postopératoire, est abondante.
Parfois, c’est l’absence pure et simple de toute consigne qui est reprochée. Mais même quand de telles consignes existent, comme en l’espèce, elles peuvent être jugées insuffisantes ou trop peu précises.
À retenir
Il est donc essentiel pour le chirurgien d’élaborer, en équipe, des protocoles spécifiques et, dans les cas particuliers tenant par exemple aux antécédents du patient ou à la nature de l’intervention, de laisser des consignes au personnel chargé de la surveillance.
À défaut, sa responsabilité peut se trouver engagée.