Les faits : défaut d'information en présence d'une dégradation progressive de l’état de santé
Une femme de 89 ans, encore valide et suffisamment autonome pour vivre seule, présente tous les signes d'une gastro-entérite, qui justifie son hospitalisation.
L’état de la patiente s’améliore rapidement sur le plan physique, mais il s’installe progressivement une désorientation temporo-spatiale et une agitation, qui vont en s'aggravant au fil des jours et qui justifient la poursuite de l’hospitalisation.
Ces troubles s'accompagnent d'une dégradation de l'état général : apparition d’œdèmes des membres inférieurs et supérieurs, inappétence quasi-totale. Les signes de confusion se majorent, la patiente tient des propos morbides et est de plus en plus agitée.
Au 15e jour d’hospitalisation, le gastro-entérologue qui la prend en charge évoque un "syndrome de glissement", mentionné dans le dossier mais dont il n’est fait état, ni auprès de la patiente, ni de sa famille.
Malgré ces signes majeurs d’aggravation, le gastro-entérologue ne prévient la famille qu’au 20e jour d’hospitalisation. Suite à ce défaut d'information, les deux filles se présentent à l'hôpital, mais arrivent une heure après le décès de leur mère.
Estimant avoir subi un préjudice du fait du manquement à l’obligation d'informer les proches de l'engagement du pronostic vital, elles assignent le médecin.
Ne pas révéler un pronostic fatal aux proches constitue un défaut d'information
L’article R.4127-35 du Code de la santé publique (CSP) rappelle que le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose.
Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection au malade lui-même.
Il peut être tenu dans l’ignorance de ce pronostic s’il en a exprimé le souhait mais, en toutes hypothèses, les proches doivent être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou a désigné les tiers auxquels elle doit être faite.
Dans le jugement du 6 décembre 2018, le tribunal rappelle qu’en pareille circonstance, les termes trop techniques doivent être évités, ainsi que toute précipitation.
L’information doit être donnée aux proches dès qu'une issue fatale peut être raisonnablement envisagée.
— Jugement du 6 décembre 2018
En l'espèce, les juges relèvent l’existence de troubles nombreux et importants (somnolence, agitation, confusion, désorientation temporo-spatiale, hyperkaliémie, œdèmes) ayant fait évoquer au médecin un syndrome de glissement, et qui se majoraient au fil des jours. Il est établi par l’expertise judiciaire que, cinq jours avant le décès, un pronostic fatal pouvait être fait et dès lors, les proches de la patiente devaient en être informés.
La responsabilité du gastro-entérologue est donc retenue à ce titre.
Un préjudice moral des proches du fait de ne pas avoir pu recevoir les derniers sacrements
Les juges relèvent que la patiente avait été, sa vie durant, une catholique pratiquante :
"Sans donner à sa croyance aucune prééminence sur les autres, force est d'admettre son caractère légitime et, partant, l'existence d'un préjudice causé par le défaut d'information pour ses filles, en ce qu'elles n'ont pas eu le réconfort de voir que leur mère avait reçu les derniers sacrements et était décédée dans le respect des préceptes de sa religion".
Le tribunal alloue une somme de 2.000 € à chacune des filles, au titre de leur préjudice moral.
Que retenir de cette affaire ?
L’information du patient ne se limite pas aux soins qui lui sont prodigués. Quand un pronostic fatal est envisagé, il doit en être informé, dans les limites posées par les textes, c’est-à-dire sans précipitation et en tenant compte de sa capacité et de sa volonté à comprendre et accepter cette information.
En revanche, sauf exception appréciée au cas par cas ou volonté particulière du malade lui-même, les proches doivent être informés, conformément à l’article L.1110-4 du CSP qui rappelle que le secret médical ne s’y oppose pas.
En effet, comme l’indique le Conseil de l’Ordre des médecins dans ses commentaires de l’article R.4127-35 du CSP, une telle information est indispensable pour permettre à la famille d’apporter son soutien au patient et prendre les dispositions nécessaires à l’approche du décès.
Si cette obligation n’est pas respectée, le médecin peut engager sa responsabilité à l’égard des proches qui n’ont pas été informés et qui, comme dans cette affaire, ont subi un préjudice.