Une complication redoutée
La fréquence des perforations coliques varie en fonction du type de procédure :
- 0,01 à 0,1 % lors d’une coloscopie de dépistage,
- 0,17 % après polypectomie,
- 5 % à 10 % lors d’une mucosectomie ou une dissection sous-muqueuse.
La contamination péritonéale secondaire à la perforation se fait très rapidement, même sur un côlon bien préparé, notion primordiale qui doit guider les modalités de la prise en charge. Le taux de péritonite stercorale et la nécessité d’une stomie augmentent de façon exponentielle au cours des heures suivant la perforation.
1er dossier : complications en cascade après une perforation
Les faits
Une patiente de 53 ans, aux antécédents familiaux de cancer colique, est adressée à un gastro-entérologue par son médecin traitant pour bilan endoscopique en raison d’un pyrosis et d’une diarrhée.
Lors de la coloscopie, un polype sessile du colon droit est retiré en technique de mucosectomie. Les suites immédiates sont simples, avec retour à domicile le soir même.
Le lendemain, en milieu de matinée, survenue de douleurs abdominales avec fièvre à 40°C.
Appel au 15 qui amène la patiente aux Urgences du centre hospitalier local.
La palpation abdominale retrouve une douleur prédominant dans la FID. La CRP est à 100 mg/l, sans hyper leucocytose.
Le scanner montre un épaississement circonférentiel régulier étendu sur 7 cm de l’angle colique gauche avec infiltration périphérique, centré sur des diverticules compliqués d'une perforation avec nombreux gaz extradigestifs périphériques, et d’un iléus réflexe.
La patiente est hospitalisée dans le service de chirurgie avec un diagnostic de perforation post-coloscopie.
Il est décidé d’un traitement médical par double antibiothérapie.
L’évolution est jugée dans un premier temps satisfaisante, malgré une CRP à 180 mg/l à J2, mais suivie d’une amélioration clinique, et biologique (CRP à 50mg/l).
Le retour à domicile est autorisé à J6 de la coloscopie, avec traitement antibiotique pour 6 jours.
Dans la nuit même, il existe une aggravation des douleurs abdominales, avec fièvre et vomissements, nécessitant un retour au centre hospitalier par le SAMU.
L’examen retrouve une défense abdominale. Le scanner objective une augmentation du pneumopéritoine.
Indication d’une intervention en urgence avec abord coelioscopique.
À l’exploration, il est constaté : "une péritonite généralisée, purulente, et une perforation en péritoine libre au niveau de l’angle colique gauche. Décision d’une colectomie angulaire gauche avec double colostomie".
Reprise chirurgicale à J5 par laparotomie médiane pour désunion de l’orifice de stomie sur nécrose colique.
Transfert en réanimation au CHU où la patiente présentera de multiples complications : infections intra abdominales et pulmonaires, insuffisance rénale, neuropathie, dénutrition sévère…
Sortie de réanimation au bout de 2 mois, puis la patiente sera réopérée à 2 reprises pour rétablissement de continuité, et cure d’éventration.
L’issue du dossier
L’affaire a donné lieu à une procédure devant la CCI.
L’expert chirurgien digestif hospitalier a conclu "que le dommage était constitué par une péritonite généralisée liée à une perforation colique survenue pendant une coloscopie, opérée tardivement, et suivie par des complications multiples nécessitant un séjour en réanimation, et de nombreuses interventions…
La perforation colique est un aléa thérapeutique, consécutif à l’ablation d’un polype plan du colon. La non-reconnaissance de la perforation en per-coloscopie est un événement fréquent (35 à 60 % des cas) et ce n’est pas une faute. Il en est de même pour la non-reconnaissance de la perforation immédiatement après l’acte, car il n'y a pas eu de signe d'appel.
En revanche, l’indication de traitement médical portée à l’hôpital n’est pas conforme. Elle a fait perdre 6 jours pendant lesquels le sepsis a progressé. Ce retard a constitué une perte de chance d’éviter les complications observées, de 65 % au minimum.
La CCI a suivi les conclusions de l’expert en confirmant la notion d’aléa pour la perforation, contribuant à 35 % au dommage. La responsabilité du centre hospitalier est également retenue à hauteur de 65 %.
2e dossier : décès après une perforation
Les faits
Le second dossier concerne un patient de 71 ans, aux lourds antécédents : cardiopathie ischémique, artériopathie des membres inférieurs, SAS appareillé, BPCO.
Une coloscopie est réalisée en ambulatoire en clinique médico-chirurgicale pour test hemoccult positif.
Un polype plan du colon droit est enlevé en technique de mucosectomie avec des suites immédiates simples, permettant le retour à domicile le soir même.
Dans la nuit, survenue de douleurs abdominales, et de vomissements, avec arrêt des gaz imposant le retour dans l’établissement le lendemain au matin.
À l’examen, l’abdomen est globalement douloureux, et le bilan biologique retrouve une CRP à 58 mg/l avec une leucocytose normale.
La radio d’ASP objective un pneumopéritoine, et un iléus de l’intestin grêle.
Décision d’un traitement médical avec mise en place d’une sonde naso-gastrique, et antibiothérapie.
Dans l’après-midi, il est noté une aggravation des douleurs abdominales nécessitant la prescription de morphine.
En fin de journée, l’examen clinique retrouve une défense, puis une contracture abdominale.
En raison d’une difficulté à trouver un chirurgien sur place, le patient est transféré par le SAMU au centre hospitalier local, en début de soirée.
Une intervention est réalisée en urgence : "Abord par laparotomie : constatation d’un épanchement purulent dans la FID et le Douglas, perforation de 1,5 cm dans le colon droit. Réalisation d’une colectomie droite, et anastomose iléo-transverse non protégée".
Les suites sont marquées par une éviscération nécessitant une nouvelle intervention.
L’évolution sera défavorable, conduisant au décès par défaillance multi-viscérale.
L’issue du dossier
Le gastro-entérologue a été assigné.
L’expert gastro-entérologue hospitalier a considéré sans ambiguïté qu’il existait un retard à la prise en charge de la perforation colique : "devant un pneumopéritoine après une coloscopie datant de plus de 24 heures, une intervention en urgence était indispensable. Le retard à la prise en charge a eu un impact, évalué en une perte de chance de 30 %", l’expert ayant tenu compte de l’état antérieur pouvant avoir participé à l’évolution défavorable.
Quelles sont les prises en charge actuelles des perforations coliques sous coloscopie ?
À l‘occasion de ces 2 dossiers, Il nous a semblé utile de rappeler les modalités actuelles de la gestion des perforations coliques sous coloscopie.
La conduite thérapeutique repose sur des constatations qui font consensus, à savoir un taux de morbi-mortalité très supérieur chez les patients opérés après traitement conservateur par rapport à ceux opérés d’emblée (en raison de la progression de la péritonite), et l’intérêt de l’abord par coelioscopie pour le bilan et le traitement des lésions.
La prise en charge doit prendre en compte les deux situations ci-après.
La perforation est détectée lors de la procédure
Il est actuellement recommandé de tenter la fermeture par des clips (endo-clips, ou clip OVESC0 "over the scope"), sous insufflateur à CO2. En cas de pneumopéritoine important et compressif, une exsufflation par l’opérateur est indispensable.
La fermeture de la perforation est souvent plus facile lorsqu’elle est constatée lors d’un geste thérapeutique (mucosectomie, dissection sous muqueuse), parfois difficile voire impossible lors d’une coloscopie diagnostique du fait de la nature de la plaie (dilacération, plaie directe transfixiante), de sa taille, et de sa localisation pouvant gêner le positionnement de l’endoscope.
Si la suture endoscopique a pu être réalisée, et sous surveillance médico-chirurgicale, une évaluation est faite sur la stabilité de l’état du patient, et les risques de contamination péritonéale dépendant de la taille de la perforation, de la rapidité, et de l’efficacité de sa fermeture.
En absence de ces facteurs de risque, et sous surveillance étroite, un traitement médical avec antibiothérapie à large spectre peut être autorisé, permettant le plus souvent une évolution favorable sans intervention.
En cas de mauvaise préparation colique, et devant des risques de contamination péritonéale, une prise en charge chirurgicale sous coelioscopie pour toilette péritonéale et suture de la perforation doit être réalisée rapidement, afin d’éviter l’évolution vers une péritonite et la nécessité d’une stomie.
De même, l’apparition de signes cliniques et/ou biologiques défavorables dans les 24 heures de la suture endoscopique de la perforation imposent la réalisation d’un scanner, et en cas d’anomalies péritonéales, une intervention chirurgicale rapide sous laparoscopie.
La perforation n’est pas détectée lors de la procédure
Cette situation concerne des patients rentrés à domicile en raison de suites simples immédiates après l’examen mais qui reviennent le lendemain ou dans les jours suivant la coloscopie pour des douleurs abdominales, souvent fébriles.
Un scanner est indispensable, révélant alors des anomalies évocatrices de perforation.
Il s’agit des cas les plus graves, avec 21 à 44 % de morbidité, et 5 à 25 % de mortalité.
La prise en charge doit être d’emblée chirurgicale en privilégiant l’abord par coelioscopie, mais la mise en place d’une stomie sera le plus souvent nécessaire.
Et sur le plan juridique ?
En conclusion, la perforation sous coloscopie est une complication grave dont la gestion doit être collégiale, médico-chirurgicale.
Sur le plan médico-légal, la survenue d’une perforation est généralement considérée comme un aléa, mais la responsabilité des acteurs de la prise en charge peut être recherchée au niveau de la gestion de cette complication.
En l’absence de fermeture endoscopique, il parait illusoire d’espérer une évolution favorable sous simple traitement médical, et tout retard à l’intervention peut être considéré comme une faute à l’origine d’une perte de chance.
Cela permet de rappeler l’importance d’une formation régulière, et la nécessité de la rédaction détaillée du compte rendu de la coloscopie où doivent être précisées :
- la qualité de la préparation,
- la constatation d’une perforation, sa taille, sa localisation,
- la technique de fermeture (type de clips posés, et leur nombre),
- la durée de la procédure, son efficacité potentielle,
- les raisons expliquant l’absence de suture (difficultés techniques, problème de matériel, état du patient…).
L’argumentation des discussions ayant conduit aux décisions pour la prise en charge de la perforation doit être tracée dans le dossier médical.
Tous ces éléments sont indispensables afin d’assurer au mieux la défense du praticien ayant réalisé l’endoscopie.
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Actuellement, sa mise en cause est de plus en plus fréquente en cas de perforation lors d’une coloscopie, que l’examen soit réalisé à visée diagnostique ou à visée thérapeutique.