Un accouchement marqué par des ralentissements répétés du rythme cardiaque fœtal
Une femme se présente pour son accouchement aux urgences d’une clinique vers 20 h. Elle présente des contractions douloureuses sur utérus cicatriciel.
Plusieurs ralentissements du rythme cardiaque fœtal de courte durée surviennent de façon rapprochée à partir de 00 h 36, suivis d'une récupération rapide à l’exception du dernier, qui s’étend sur quatre minutes. Par la suite, de manière régulière, se produisent plusieurs autres épisodes, dont l’un plus marqué à 1 h 09, entrecoupés de périodes de rythme satisfaisant avec persistance des oscillations.
À 1 h 05, la sage-femme téléphone au gynécologue obstétricien qui avait suivi la grossesse et qui se trouve alors à son domicile. Juste après, survient un ralentissement marqué du rythme cardiaque fœtal avec rythme de base à 80 battements par minute et perte totale des oscillations. Ce rythme reste inchangé jusqu'à la naissance.
À 1 h 20, la sage-femme rappelle l’obstétricien qui lui dit se trouver à proximité et arriver sous peu, puis le gynécologue obstétricien de garde qui est, lui, sur place. Les deux médecins arrivent ensemble quelques minutes plus tard.
L’obstétricien traitant décide de procéder à une extraction instrumentale qui aboutit à la naissance d’une petite fille, à 1 h 38, victime d'une encéphalopathie anoxo-ischémique survenue pendant l'accouchement et dont l'origine précise reste inconnue.
L’enfant est prise en charge par le service de néonatologie d’un centre hospitalier et conserve de très graves séquelles de son asphyxie périnatale.
Une absence de protocoles très préjudiciable
La Cour d’appel, dans un arrêt du 5 mars 2020, relève un défaut dans l'organisation de la clinique du fait d’une absence de protocoles précis, écrits et connus
Sur la prise en charge des accouchements des patientes avec utérus cicatriciel
Ce type de risque n'exige pas la présence d'un gynécologue accoucheur pendant toute la durée du travail, mais cette présence devient nécessaire quand le caractère complet de la dilatation est proche et, surtout, quand il existe des anomalies, même modérées, du rythme cardiaque. C’était bien le cas à partir de 00 h 36. Un protocole aurait permis l'arrivée anticipée d'un médecin et un moindre retard à la naissance.
Sur les circonstances dans lesquelles la sage-femme doit alerter un gynécologue en cas de problème
Il semblait d’usage dans cette clinique d’appeler en priorité le gynécologue traitant, alors pourtant que l'obstétricien de garde était sur place et susceptible d'intervenir très rapidement. Du fait de l’absence de protocole, il n’a été joint qu'après 1 h 20, avec un retard préjudiciable.
Même si la rédaction des protocoles doit se faire en concertation avec les professionnels de santé concernés, l'organisation du service incombe à l'établissement qui doit mettre en place une organisation et un fonctionnement adaptés, prévoyant une bonne articulation entre ces différents professionnels dans la prise en charge des patients.
La responsabilité de la clinique est donc retenue à ce titre.
Une absence d’alerte de l’obstétricien par la sage-femme
La sage-femme a sous-estimé les risques découlant de la situation obstétricale et n’a pas fait appel, à temps, aux ressources médicales présentes.
Conformément à l'article L. 4151-3 du Code de la santé publique, compte tenu de l'utérus cicatriciel de la mère et des anomalies du rythme cardiaque fœtal apparues à plusieurs reprises, la sage-femme aurait dû alerter un médecin au plus tard à 00 h 50, car il ne s’agissait plus d’un accouchement eutocique.
Cela n’en est que plus vrai à partir de 00 h 55, où les anomalies ont été plus marquées, devenant une succession de bradycardies. Enfin, à partir de 1 h 10, cette bradycardie s'est constituée de manière permanente et nécessitait absolument l'intervention de l'obstétricien de garde. Or, la sage-femme ne l’a joint qu’en toute dernière extrémité, après que l’obstétricien traitant ait tardé à venir.
Ce manquement a contribué au dommage en participant au retard à la naissance, faute d'intervention plus précoce d'un médecin. C’est la clinique qui doit en répondre, en tant qu’employeur de la sage-femme.
La part de responsabilité qui incombe à la clinique, du fait de l’absence de protocoles et de la faute de la sage-femme, est estimée à 75 %.
Une absence de consignes de la part de l’obstétricien qui avait suivi la grossesse
Il ne peut être reproché à l’obstétricien traitant de ne pas avoir été présent pour cet accouchement puisque les experts judiciaires ont relevé que le risque présenté par un utérus cicatriciel n'exige pas la présence d'un médecin pendant tout le travail.
En revanche, il ne pouvait ignorer l'absence de protocole écrit dans ce genre de situation. Il devait donc donner à la sage-femme des consignes précises concernant la prise en charge de sa patiente dont il connaissait les antécédents, et notamment demander à être averti (ou l'obstétricien de garde) lorsque la dilatation complète deviendrait proche, surtout en cas d'anomalies même modérées du rythme cardiaque fœtal.
Ce manquement personnel a contribué au dommage en participant au retard dans l'intervention d'un médecin, dans une proportion fixée par le juge à 25 %.
Une perte de chance d’éviter les séquelles
Ces manquements sont constitutifs d'une perte de chance d'éviter les séquelles neuro-motrices, consistant en une infirmité motrice cérébrale.
Les juges, comme souvent dans ce type de cas, examinent attentivement la chronologie des faits pour évaluer l’étendue de la perte de chance.
Au-delà de dix minutes, la diminution ou l'interruption d'apport d'oxygène au fœtus peut engendrer des lésions cérébrales définitives. Si le médecin avait été prévenu à temps, il aurait déjà été sur place quand la bradycardie s'est installée durablement. La décision de procéder à l’accouchement aurait donc pu être prise dès 1 h 15 et la naissance aurait été possible dès 1 h 25, soit treize minutes plus tôt.
La perte de chance ne correspond pas au prorata de la perte de temps puisque le risque de lésions cérébrales augmente avec le temps. Elle est estimée à 50 %.
Une provision de 750 000 € est allouée aux parents de la victime.
Que retenir de cette affaire ?
Cette affaire illustre l’importance de mettre en place des protocoles de soins, connus de tous et actualisés, afin de clarifier le rôle de chaque intervenant dans la prise en charge obstétricale.
Il n’est pas recommandé de se reposer exclusivement sur les "usages" en cours dans un établissement. En effet, de tels usages, qui ne sont pas formalisés et reposent sur les habitudes adoptées au fil du temps par certains professionnels, peuvent ne pas être connus des nouveaux personnels et faire l’objet d’interprétations diverses. Ils peuvent même, parfois, ne pas être conformes aux bonnes pratiques parce qu’ils ne sont pas régulièrement réévalués et validés.
Dans cette affaire, c’est bien l’absence de tout protocole et l’application d’un "usage" (assez illogique puisque ne prévoyant l’intervention du praticien présent sur place que de manière accessoire), qui se trouve à l’origine des fautes commises.
Il est donc prudent de formaliser sous forme de protocole tout "usage" de service, pour le faire connaître de tous et s’assurer de sa conformité aux bonnes pratiques.
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